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débats contradictoires, dans ces circonstances mêlées et confuses dont les opérations commerciales sont entourées, le juge consulaire, obligé de se prononcer, ne satisfait sa conscience qu’en recourant à l’application de quelque principe de droit. — Laissons le jury au criminel, c’est là sa sphère. Là deux intérêts de l’ordre le plus élevé sont en présence, l’intérêt social et celui de l’accusé. Là l’objet du débat est livré à une double appréciation, qui est celle de l’instinct moral et de l’esprit juridique. Le juge applique la loi, ordonne l’acquittement ou prononce la peine ; mais un simple membre du corps social, élevé momentanément au-dessus de lui-même par la grandeur de sa mission, et destiné aussitôt qu’elle sera remplie à se perdre dans la foule, proclame le cri intérieur de sa conscience. Craignons qu’en quittant ce domaine le jury ne perde le respect dont il jouit aux yeux des populations.

Le ministère public, tel qu’il est organisé, est une institution éminemment française. Au civil, il est la société elle-même, transformée en personnage actif auprès des tribunaux, formulant et motivant son opinion. Au criminel, il représente d’une manière plus directe encore la société elle-même, poursuivant sans haine comme sans crainte la répression juridique des actes attentatoires à l’ordre social. J’avoue que ce système me paraît plus élevé, plus digne d’une civilisation où les sentimens moraux l’emportent sur les intérêts matériels, que le système de l’Angleterre, qui consiste à laisser au citoyen lésé le soin de poursuivre le redressement du tort qui lui a été fait. Est-ce une garantie qu’en toute occasion un méfait ne restera pas impuni ? L’individu isolé, livré à ses seules forces, placé en face d’un adversaire puissant par le rang et par la fortune, pouvant soutenir une longue lutte ; ne se laissera-t-il pas intimider et ne reculera-t-il pas sous le sentiment de sa faiblesse ? Ainsi une injustice aura été commise, une action déloyale, un crime même, auront pu s’accomplir sans aucune répression ! N’est-ce pas contraire au principe même du pacte social, qui promet à chacun la protection collective de tous et le respect de ses droits personnels ? Est-ce que les dommages-intérêts qui sont la conclusion de tous les débats en Angleterre peuvent satisfaire la justice telle que notre conscience la conçoit ? On ne guérit point par un chiffre la blessure faite à la dignité humaine, on ne relève pas la considération, d’un homme par une somme plus ou moins forte d’argent que l’on met à ses pieds. Si le jugement doit être autre chose, s’il est destiné à réparer le mal moral aussi bien que le mal matériel souffert par la partie plaignante, la société doit intervenir, car elle seule est capable non-seulement d’ordonner la réparation matérielle, mais de laver l’outrage subi. Pour assurer