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possédé par les ministres, qui s’en serviront pour prolonger leurs luttes avec les chambres et se maintenir au pouvoir, il le trouve enfin complètement inutile dans un régime où par le changement du cabinet il est si facile de rétablir l’harmonie entre le parlement et le pouvoir exécutif. Cette question du veto mérite qu’on l’examine de près.

Les prérogatives de la couronne ne sont pas un don fait à la royauté pour assurer sa puissance ou sa splendeur. Ce sont des attributions qui ont pour but l’utilité nationale. La loi, pour être parfaite, doit être conçue et élaborée en commun par la royauté, l’assemblée nationale et le sénat. Cette condition implique le concert entre les trois pouvoirs. Chacun d’eux a le droit de modifier, d’amender, de rejeter même la proposition de l’un des autres ou de tous les deux. Le sénat, par exemple, s’allie tantôt au pouvoir royal, tantôt à l’assemblée des représentai, selon qu’il juge opportun de porter son appui aux principes conservateurs ou aux idées de progrès, et repousse les mesures qui ne lui paraissant pas favorables à la politique qu’il veut faire prévaloir. La chambre populaire agit de même. Ces deux branches de la représentation nationale usent l’une vis-à-vis de l’autre, et à l’endroit du chef du pouvoir exécutif, d’une sorte de veto qu’elles exercent en toute liberté. Dès lors est-il possible de refuser ce même droit au chef de l’état ? Le contraindre à accepter tous les projets sortis des délibérations des deux autres pouvoirs, ne serait-ce pas le subordonner à eux ? ne serait-ce pas le réduire aux fonctions de greffier royal chargé d’enregistrer des résolutions auxquelles il n’a pas été réellement associé ? n’est-ce pas introduire dans la machine gouvernementale un ressort sans force qui subit l’impulsion générale et qui n’y concourt pas ? Pour expliquer cette inégalité dans l’action législative, on dit : Si les chambres arrêtent une loi ou ne l’approuvent pas, la conséquence a peu de gravité, c’est une mesure sur laquelle l’interdit est jeté, rien de plus ; si au contraire c’est le chef de l’état qui exerce cette prérogative, il peut paralyser la volonté nationale, car il est déjà en possession de la force militaire.

C’est l’objection principale des adversaires du veto, mais l’assemblée populaire n’est pas sans garanties contre l’abus qui pourrait être fait de cette prérogative. Elle peut, par une juste représaille, refuser les voies et moyens nécessaires au pouvoir exécutif, ou tout au moins limiter à un temps plus ou moins court le vote des subsides, et contraindre ainsi le chef de l’état à convoquer les comices électoraux pour prononcer sur la cause du conflit. Enfin elle a le droit de mettre en accusation les ministres sous la responsabilité desquels le veto vient de s’exercer. Sans la faculté, soit