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n’enseigne-t-elle pas que l’individu tient avant tout au fruit de son travail, à l’œuvre de ses soins, que ce qui excite sa sollicitude quotidienne devient l’objet de ses affections ? Pour lui, la patrie est le champ qu’il cultive, les amis qui l’entourent, la mairie où est enregistrée la naissance des êtres qui lui sont chers, l’église où il adresse à Dieu ses prières, le cimetière où reposent les restes de ceux qu’il a aimés. Laissez-le se mouvoir dans cette sphère étroite, permettez-lui de la rendre plus conforme à ses convenances, de l’embellir selon ses goûts, et avec son activité s’agrandira l’amour qu’il lui porte. Tel est le véritable patriotisme pour la foule qui compose le suffrage universel. Ce sentiment s’élève et s’étend chez ceux-là seuls qui, par leurs lumières, leur position et leurs occupations, se font un horizon social et politique plus étendu. L’idée abstraite de patrie pour la multitude se réduit à des proportions locales et individuelles. Fénelon a dit : « J’aime ma famille plus que moi, mon pays plus que ma famille, l’humanité plus que mon pays. » Langage d’apôtre et de philosophe, qui n’est pas celui des citoyens sur la place publique. Constater ce fait, ce n’est pas ériger l’égoïsme en vertu politique, c’est tenir compte des instincts de l’homme. Ce qui agit le plus puissamment sur l’individu, c’est ce qu’il voit, c’est ce qu’il fait journellement, c’est le milieu où il vit, où est le centre de ses affections les plus intimes.

Tous les partis sont intéressés à l’émancipation locale ; car sans elle les plébiscites auront beau succéder aux plébiscites, le suffrage universel, dominé par l’administration, restera une machine qui, à moins d’explosion, obéit invariablement à celui qui la manie. Les hommes qu’un coup de force, qu’une révolution met au pouvoir sont alors sûrs de ne trouver nulle part de résistance, parce que nulle part n’existent ces organisations indépendantes capables de servir de point de ralliement aux populations troublées ou menacées dans leurs sentimens et leurs intérêts. Voilà l’explication de ces bouleversemens, si fréquens depuis un siècle, qui empêchent la France d’asseoir définitivement sa constitution politique ; voilà la cause de cette émulation maladive qui anime tous les partis de la criminelle pensée de se renverser mutuellement par la violence, de s’imposer à la nation en vainqueurs et non en représentans sincères de sa volonté. Il est donc indispensable que désormais la commune, le canton, l’arrondissement et le département aient une personnalité politique, et ne soient plus une simple expression géographique, un cadre uniquement destiné à rendre l’administration plus facile. Cette réforme aurait pour effet de satisfaire sur place de légitimes ambitions qui se consument aujourd’hui dans le mécontentement et l’obscurité ou qui assiègent inutilement les avenues encombrées du