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qu’ils adressaient bien leurs coups ; c’est comme contraire, a-t-on dit, à la vérité et à la liberté, ces deux droits essentiels et sublimes de l’âme humaine, que le christianisme a été le plus violemment menacé et compromis. S’il ne s’était agi que de son utilité pratique, l’attaque eût été molle et serait restée vaine.

D’une part donc, je remercie M. Janet de reconnaître que, dans mon apologie du christianisme, j’accepte et je proclame tous les droits de la liberté ; d’autre part, je repousse son conseil de réduire cette apologie au caractère et dans les limites de l’utilité. Personne ne porte plus haut que moi l’utilité morale et sociale de la religion chrétienne et les pressentimens que son utilité nous donne de sa vérité ; mais c’est parce qu’elle est vraie en soi qu’elle est si puissamment utile pour les âmes comme pour les peuples, et qu’elle peut affronter sans crainte l’épreuve de la liberté. La vérité est, ici comme ailleurs, la question réelle et suprême, et c’est à celle-là que je reviens.


II.

À mon sens, M. Janet ne prend pas cette question à sa vraie source, à ce point culminant où elle se présente dégagée de toute question secondaire, et posée dans sa simplicité comme dans sa grandeur.

Il examine et discute le christianisme comme un système de philosophie, un ensemble de solutions des problèmes naturels et universels « aussi vieux, dit-il, que l’humanité, aussi répandus qu’elle sur la surface du globe, et que se pose inévitablement chacun de nous aussitôt qu’il commence à penser. Ces problèmes, c’est l’origine et la destinée de l’homme, l’origine et la fin de l’univers ; c’est la liberté et la Providence et leurs rapports ; c’est le mal, c’est le salut… Les solutions chrétiennes des problèmes humains, ce sont les dogmes, les dogmes essentiels, ceux qui sont communs à tous les chrétiens. Ils sont, selon M. Guizot, au nombre de cinq, la création, la Providence, le péché originel, l’incarnation, la rédemption. Ce qui caractérise ces dogmes, c’est d’être des explications, des solutions. Le dogme de la création explique l’origine du monde et l’origine de l’homme. La Providence explique l’instinct et le besoin de la prière, cet instinct si universel de l’humanité. Le péché originel explique le mal, L’incarnation et la rédemption expliquent le mystère de notre destinée. Par ces dogmes, l’homme sait d’où il vient, où il va ; il sait ce qui le détourne du chemin du salut et ce qui l’y ramène. Le système est grand, complet, bien lié et puissant. Voyons s’il est vrai. Prenons, tel qu’on nous le présente, ce christianisme