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moraliste éloquent a écrit un livre sur l’Ouvrier de huit ans, ce n’est pas à huit ans seulement, c’est beaucoup plus tôt, que l’enfant est livré à ces recruteurs qui entreprennent pour les fermiers et les propriétaires l’exécution de travaux agricoles. Ce n’est pas que les chefs de bande soient bien aises d’avoir de tels ouvriers ; mais les parens, pour faire argent de tout, en livrant au gangmaster les plus âgés de leurs enfans, exigent souvent qu’il prenne en même temps les plus jeunes. Les dépositions de l’enquête sont accablantes sur ce point. On a vu des enfans de cinq ans engagés pour travailler ainsi à plusieurs lieues de leur demeure ; une petite fille de six ans a dû faire trois lieues à pied pour se rendre à l’ouvrage ; une fois arrivée, elle travailla depuis huit heures du matin jusqu’à cinq heures et demie du soir, et se trouva tellement épuisée que ses compagnons durent la porter au retour ; elle n’arriva chez elle que malade, et sa vie fut trois semaines en danger. Tant de fatigues et de risques pour un salaire de quatre pence ! Une petite fille de onze ans fut engagée par un chef de bande pour travailler à huit milles de sa demeure, et pendant six semaines elle eut à faire trois lieues chaque matin, trois lieues chaque soir. La journée de travail, accrue par ces distances, devient d’une extrême longueur ; c’est à cinq heures du matin que partent ces bandes d’enfans et de femmes pour ne revenir que vers neuf ou dix heures du soir. Il n’est pas étonnant qu’un tel genre de vie ait une influence funeste sur le développement physique des jeunes générations. Les commissaires de l’enquête ont cru découvrir des symptômes de dégénérescence dans les populations des districts où prévaut cette organisation du travail. Il ne serait pas rare de voir la caducité commencer à trente-cinq ans pour les ouvriers agricoles qui dans leur enfance ont fait partie des agricultural gangs.

Avec un mode de travail qui prend les enfans d’aussi bonne heure et les occupe pendant la moitié de l’année, quelquefois davantage, il est naturel que les écoles soient désertes et l’instruction presque absente. Aussi, dans les districts où l’on rencontre des bandes agricoles, l’ignorance se perpétue, et, comme au défaut de notions scolaires se joint le manque d’éducation domestique, les populations restent rudes, grossières, à demi barbares.

Telles sont les accusations élevées contre le système des agricultural gangs. Nous n’en avons pas atténué la gravité ; mais ne saurait-on éviter tant de maux sans renoncer à un régime qui a de nombreux avantages économiques ? C’est la question qu’il nous reste à examiner. Sans doute il est des esprits absolus qui voudraient simplement supprimer le régime des bandes agricoles. Une telle suppression est-elle possible, en admettant qu’elle soit utile ? Que deviendraient les districts où manque toute autre main-d’œuvre que