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moraliser ces jeunes ouvriers qu’ils ont été raccoler dans leurs chaumières, les chefs des bandes agricoles sont souvent les premiers à leur enseigner le vice. L’enquête cite des exemples décisifs empruntés aux greffes des tribunaux. Les plus honnêtes se contentent de n’exercer sur leur personnel aucune influence mauvaise sans se douter qu’ils auraient des devoirs moraux à remplir.

D’un autre côté, la composition même des agricultural gangs porte avec elle des élémens de démoralisation. S’il ne s’y trouve que très peu d’hommes faits, ce n’est pas une garantie suffisante contre les dangers du rapprochement de garçons de treize à dix-huit ans et de filles et femmes de tout âge. On élève de toutes parts les objections les plus fortes contre les écoles mixtes, et cependant les enfans ne se rencontrent à l’école que pendant des heures limitées, et ils y sont soumis à l’autorité d’un homme dont l’éducation, le caractère, la position, doivent inspirer de la confiance. Il n’est guère de moraliste qui n’ait signalé les périls du mélange des sexes dans les ateliers de la grande industrie ; pourtant la discipline la plus sévère règne dans nos usines, l’activité des occupations n’y laisse que bien peu de place aux entreprises malséantes. Combien n’y a-t-il pas plus de laisser-aller dans le travail des champs ! Quand des bandes de 80 ou 100 jeunes ouvriers agricoles font ensemble un trajet de plusieurs milles avant le jour pour se rendre à l’ouvrage, refont le même trajet au crépuscule pour retourner dans leurs chaumières, et passent dans l’intervalle dix heures côte à côte, que doivent devenir la délicatesse des sentimens, l’honnêteté de l’âme, la chasteté des pensées et des actes ?

Les misères physiques pour les jeunes gangworkers égalent au moins les misères morales. Le système des agricultural gangs repose sur deux points principaux, la substitution dans la limite du possible du travail des femmes et des enfans à celui des hommes, la concentration de tous ces jeunes ouvriers dans un gros bourg d’où ils rayonnent aux alentours, se transportant chaque matin sur des exploitations quelquefois éloignées pour revenir chaque soir à leur point de départ. Ce principe, porté à l’extrême, a donné lieu à deux inconvéniens : d’abord on a raccolé des enfans si jeunes que le travail compromet évidemment leur santé ; ensuite la distance du point de départ aux champs d’exploitation est quelquefois telle que le trajet seul entraîne une fatigue considérable. Il est très ordinaire que la bande ait à faire de cinq à six milles pour se rendre à son travail et autant pour revenir.

Ces longues marches, de débiles ouvriers les font chargés de leurs instrumens et de leurs provisions. Cependant la plupart d’entre eux sont de tout jeunes enfans qu’on devrait croire incapables d’un effort soutenu et d’une fatigue persistante. Un