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son rouet, le revenu de la famille. Ainsi chaque jour et chaque membre de la communauté domestique avaient leur tâche marquée ; que le temps fût pluvieux ou qu’il fût beau, les occupations étaient permanentes, parce qu’elles étaient variées. Quand les unes manquaient, on recourait aux autres. Les progrès de la mécanique et le développement de la grande industrie ont porté un coup sensible à cette vieille organisation du travail. Après une lutte acharnée, presque tous les métiers ont dû quitter les chaumières ; le travail industriel aggloméré a miné le travail industriel dispersé. Réduit à ses occupations purement agricoles, le paysan, malgré une notable augmentation des salaires, s’est trouvé dans une position plus défavorable qu’auparavant. Alors la population rurale s’est amoindrie ; dans les momens de presse, l’agriculture a manqué de bras. En France, cette émigration des campagnes vers les villes ne s’est pas présentée jusqu’à présent avec le même caractère d’intensité qu’en Angleterre. Cela tient à plusieurs causes. D’abord la petite propriété fixe le paysan au sol et lui rend la vie des champs, malgré ses privations, plus douce que la vie des villes ; en outre l’industrie manufacturière est encore bien loin dans plusieurs de nos provinces d’avoir réalisé les progrès qu’on lui a vu faire en Angleterre depuis quarante ans.

Ce sont là les principales causes qui maintiennent la population de nos campagnes dans un état de densité relative, si on la compare avec celle des distincts ruraux de l’Angleterre. En Picardie, en Normandie, en Lorraine, on tisse encore la laine, parfois le lin, dans les chaumières ; on fabrique la bonneterie dans les hameaux. Les paysans du Lyonnais et du Dauphiné tissent la soie dans l’intervalle de leurs occupations agricoles. Mille autres travaux industriels, ici la fabrication des gants, là celle des broderies ou des dentelles, entretiennent la vie dans nos villages. En Angleterre, il n’est pas une industrie où la vapeur ne joue son rôle : non-seulement le coton, le lin, la laine, mais encore la soie, ne se tissent que dans des usines ; dans la bonneterie, le métier circulaire mécanique a enlevé le travail aux chaumières ; le tulle, la broderie même, sont aujourd’hui à Nottingham l’objet de vastes exploitations. Les ouvriers agricoles sont devenus très rares. Dans beaucoup de comtés, leur absence s’est moins fait sentir par suite de l’extension des prairies ; mais dans les districts où le sol se prêtait mieux à la production du blé qu’à l’élevage des bestiaux l’organisation des agricultural gangs a rendu des services inattendus.

La grande industrie est parvenue à remplacer une partie de la main-d’œuvre des hommes par celle des femmes et des enfans. L’agriculture en grand tâche, chez les Anglais, d’atteindre le même