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et surtout, comme M. Kuenen le fait remarquer avec beaucoup de justesse, le sentiment qu’il y avait une différence profonde, radicale, entre Baal, le dieu-nature, et Jehovah, force suprême, dut s’emparer avec une clarté, une énergie jusqu’alors inconnues, d’un certain nombre d’Israélites. Le progrès accompli sous Salomon avait élargi l’idée de Dieu, les révolutions jehovistes la purifièrent.

C’est pendant le siècle qui suivit, et sur lequel malheureusement nous sommes très médiocrement renseignés, que dut s’opérer le travail d’esprit qui fit passer les jehovistes zélés d’une monolâtrie toujours plus rigide à un monothéisme réel. Ce siècle en effet fut marqué par de rudes calamités pour les deux royaumes Israélites. Les Syriens ravagèrent la Palestine, et lorsque le royaume du nord fut enfin débarrassé de ses redoutables oppresseurs, ce fut pour écraser à son tour le royaume de Juda. Ces malheurs nationaux n’ébranlèrent point la foi en la puissance de Jehovah ; mais ils firent qu’on se demanda pourquoi Jehovah ne la déployait pas plus activement pour protéger son peuple. C’était évidemment parce que ce peuple l’adorait mal. Et en quoi son adoration était-elle défectueuse ? C’est qu’il la partageait entre plusieurs divinités. Jehovah sans doute est un dieu jaloux. Le principe « pas d’autre dieu devant sa face » est trop mesquinement, trop littéralement compris. Ce n’est pas seulement devant l’arche qu’il faut l’observer, c’est sur toute l’étendue du territoire. En même temps et par suite de l’opposition déclarée aux cultes immoraux ou cruels que l’on pratiquait en l’honneur des autres divinités, le caractère moral de Jehovah fut mieux compris qu’il ne l’avait encore été. Le prophète Elie avait vu dans sa vision que Jehovah n’était ni dans le tourbillon qui passait sur la plaine, ni dans le vent qui mugissait, ni dans le feu qui dévorait, qu’il était dans un murmure doux et fort, Les élémens de naturalisme qui ramenaient le jehovisme à un niveau très peu supérieur encore à celui du sémitisme général disparurent donc peu à peu, comme faisant tache sur la véritable notion de Jehovah. Le spiritualisme religieux prit son essor. La même réforme s’étendit aux symboles visibles, aux taureaux de métal surtout. Ce ne fut plus seulement devant l’arche traditionnelle qu’il fut interdit de représenter le dieu d’Israël, ce fut sur toute l’étendue de la terre sainte ; il ne restait plus qu’un pas à faire, et il fut franchi. Des dieux qu’on ne peut ni ne doit adorer ne restent pas longtemps des dieux, car, s’ils sont des dieux réels, pourquoi ne les pas adorer ? C’est ainsi que de la thèse : « Jehovah seul est adorable, » sortit enfin le grand axiome : « Jehovah seul est Dieu. »

Que l’on nous comprenne bien. Il s’en faut que les jehovistes du ixe siècle avant notre ère aient déroulé méthodiquement cette théologie raisonnée, ce commencement de métaphysique. Nous