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conséquent le culte national de Jehovah diminua d’importance en devenant moins populaire ; toutefois il ne fut jamais complètement oublié. La preuve, c’est que, lorsque des malheurs communs, rapprochant les tribus divisées, les unissaient dans une action commune, c’est au nom de Jehovah, dieu d’Israël, que les alliances se contractaient et que les combats se livraient. L’arche de Jehovah, depuis les jours de Josué, restait habituellement dans l’humble sanctuaire de Silo, à peu près au centre du pays. Quelquefois on la portait, comme un talisman, dans les batailles ; mais il s’en faut que Jehovah ne fût invoqué que près de son arche. Ses symboles visibles, les taureaux de fonte, paraissent avoir été assez fréquens, et si les lévites étaient loin d’avoir le monopole du culte, on voit pourtant qu’on attachait une certaine importance à confier les fonctions sacerdotales à des hommes de la tribu de Lévi de préférence à d’autres. Du reste on ne doit pas s’attendre alors à une distinction bien claire entre le culte de Jehovah et celui des autres divinités sémitiques. Le culte de Baal par exemple, le dieu joyeux des Cananéens, ne plut que trop aux Israélites, et c’est d’un vieux mélange des deux cultes que provient sans doute l’étrange coutume d’enfoncer en terre devant l’autel de Jehovah un tronc d’arbre, symbole d’Aschera. Ce n’était pas précisément une « image taillée. » Nous avons déjà parlé de l’histoire de Jephté et de l’immolation de sa fille. Les noms propres formés avec Baal sont usités au sein des familles israélites, ce qui suppose que ce nom ne révoltait encore personne. On en trouve encore de tels dans les familles de Saül et de David. La foi en Jehovah comme dieu protecteur d’Israël, foi que nul ne conteste, ne paraissait donc pas encore inconciliable avec l’adoration d’autres divinités plus ou moins similaires. Ce sont les historiens postérieurs qui, regardant tout le passé de leur point de vue monothéiste exclusif, ont dépeint la situation réelle sous un faux jour, sans parvenir à la défigurer entièrement. En particulier la tribu belliqueuse des Danites doit avoir célébré sur son territoire un culte solaire, riche en mythes étranges, qui a donné lieu au cycle de légendes dont Samson est le héros ; car Samson, l’Hercule danite, dont la force réside dans les cheveux, qui brûle les moissons des Philistins en y lançant trois cents renards porteurs de torches[1] dont le nom hébreu schimschôn vient du mot schêmesch, soleil, Samson amoureux de Delila, l’endormeuse, belle et perfide comme une lune d’hiver qu’elle est, dépouillé par elle de ses cheveux et de

  1. C’est un mythe très semblable qui prévalait dans le vieux Latium, où l’on s’efforçait de conjurer en avril le fléau du renard rouge (robigo, la rouille des blés). On immolait aux Robigalia de jeunes chiens roux, et aux fêtes de Gères on simulait dans le cirque une chat se au renard, après avoir attaché une torche enflammée à la queue de l’animal.