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non plus trop amoindrir le futur empire grec. Il y avait une sorte de glorieux dédommagement qu’elle faisait briller aux yeux de Joseph. Empereur d’Allemagne et roi des Romains, que ne réclamait-il la souveraineté de Rome elle-même ? Que ne se faisait-il le vrai protecteur et chef de l’église catholique pendant que sa bonne alliée et amie la tsarine serait la protectrice et la mère de l’église grecque ? Catherine paraît avoir insisté longtemps sur cette grange perspective. Apprenant en 1782 le prochain voyage du pape en Autriche : « La résolution de Pie VI, écrit-elle, de venir à Vienne pour traiter de bouche avec votre majesté impériale en vérité lui fait honneur, quoiqu’il n’y gagnera rien. Je souhaite qu’il lui apporte les clés de Rome et qu’il lui propose de chasser les ennemis du nom chrétien de l’Europe. En ce cas, je la prie instamment de compter sur son alliée. » On croit rêver quand on lit ces témoignages très authentiques de l’étrange hardiesse avec laquelle ces souverains des dernières années du XVIIIe siècle, comptant pour rien les peuples, les individus, les nationalités, les croyances, s’arrogeaient le droit de trancher au profit de leur ambition, par le seul effet de leurs combinaisons et de leurs calculs, des questions non résolues encore aujourd’hui et dont nous commençons seulement à distinguer la complexité profonde.

Un des premiers à profiter des documens si imprévus que M. d’Arneth avait fait connaître, M. de Sybel, de l’université de Bonn, s’est hâté de les mettre en œuvre soit pour son histoire diplomatique de l’époque révolutionnaire en cours de publication, et dont on fait paraître maintenant une traduction française, soit pour des études spéciales qu’il vient de réunir dans le second volume de ses Kleine Schriften. C’est ici qu’on trouvera, à côté d’un morceau d’histoire critique sur les croisades rappelant l’étude sur la première croisade qui a contribué jadis à fonder la réputation de l’auteur, deux dissertations importantes, l’une sur le rôle de l’empereur Léopold II en 90 et 91, l’autre sur l’attitude de l’Autriche et de la Prusse pendant les guerres de la révolution française. Qui est responsable de l’ouverture des hostilités, comment s’est préparé le second partage de la Pologne et de quelles complications ce nouvel épisode a-t-il été la source ? Tels sont les principaux problèmes discutés par M. de Sybel, et à propos desquels il s’est vu engagé dans une vive polémique avec M. Ernest Hermann, de Marbourg. L’auteur a joint à ces études les curieuses dissertations critiques par lesquelles il a le premier démontré en 1865 l’inauthenticité des lettres de Marie-Antoinette publiées chez nous. On a pu donner ensuite à l’appui de la même démonstration des preuves nouvelles et peut-être encore plus décisives d’après des documens irrécusables que ne possédaient ni M. d’Arneth ni M. de Sybel ; c’est ce que nous avons fait ici même, mais au professeur de Bonn revenait le mérite de la première déclaration.

Tels étaient les travaux qui servaient de base au principal ouvrage de