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d’Allemagne, en 1790. Quelques pièces manquent qui n’ont pas été retrouvées, Les lettres de Catherine sont ici publiées d’après les autographes conservés aux archives de Vienne, celles de Joseph II d’après les copies authentiques obtenues des archives de Pétersbourg et de Moscou. On peut signaler d’un mot l’intérêt qu’offre cette correspondance, dont M. Hermann, quand il a composé son excellente Histoire de Russie, n’a connu qu’une faible partie : elle contient quelques-unes des plus curieuses origines de la question d’Orient. C’est un singulier spectacle d’y voir avec quelle ardeur de convoitise Catherine II s’efforçait de lier le souverain de l’Autriche à ses vues ambitieuses et de l’avoir pour instrument. Joseph répond d’abord sur le ton d’une entière confiance et d’un parfait enthousiasme, parce qu’il entend bien tirer parti de l’alliance proposée. On conclut en 1781, par lettres, un traité offensif et défensif. Nous savons ce que voulait dire cette garantie de la constitution intérieure de la Pologne, par laquelle les souverains du nord empêchaient la malheureuse nation de renaître ; les dispositions prises contre les Turcs devaient naturellement profiter surtout à la tsarine : aussi voit-on Joseph se tenir en garde, et même écrire un jour à Kaunitz, son conseiller perpétuel : « L’impératrice n’a d’autre envie que de faire une dupe ; mais elle ne s’adresse pas au bon poisson pour avaler son amorce. » Il fut convenu (on trouvera tout le détail de ces résolutions dans ces lettres, seuls instrumens du traité) que, pour tenir désormais les Turcs en bride, on fermerait, après les avoir vaincus, un état indépendant, composé des principautés du Danube et de la Bessarabie, auquel on donnerait le vieux nom romain de Dacie, avec un souverain héréditaire professant la foi grecque et tout dévoué aux deux cours impériales. S’il arrivait que les Turcs, entièrement battus, pussent être expulsés d’Europe, grand bien pour la chrétienté, on édifierait un nouvel empire grec au profit du petit-fils de Catherine II ; cet empire ne pourrait jamais être réuni à l’empire moscovite ; il serait entièrement indépendant. S’il fallait absolument conserver les Turcs, la Russie demandait du moins pour elle la ville et le territoire d’Oczakof, c’est-à-dire les rives de la Mer-Noire entre le Dniester et le Bug, avec cela une ou deux îles dans l’Archipel pour la sûreté et la facilité de son commerce. On doit remarquer que dans le même temps, comme conséquence de la paix de Kainardji, elle s’annexait la Crimée et s’établissait ainsi sur toute la côte nord de la Mer-Noire. Joseph II à son tour prenait soin de stipuler ses acquisitions futures aux dépens de la Turquie : de Belgrade, il tirait une ligne droite jusqu’à l’Adriatique en prenant l’Istrie, la Dalmatie et même les possessions continentales de Venise, qu’on indemniserait, disait-il, par la Morée, Candie, Chypre ou les îles de l’Archipel ; mais alors Catherine l’arrêtait. Comme s’il se fût agi d’une très prochaine et très sérieuse exécution, elle protestait qu’il ne fallait pas dépouiller Venise, dont la marine pouvait être fort utile contre les Turcs, et qu’on ne devait pas