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sacrifices a quatre cornes, la « mer d’airain » ou le grand vase aux ablutions est porté par douze bœufs. Moïse lui-même doit avoir porté les « cornes » lumineuses prophétiques. Cela fait penser involontairement au culte de Moloch à la tête de taureau ou d’Astarté la cornue. De même « l’arche de Jehovah » est protégée par des chérubins, animaux ailés bizarres, dont les congénères se retrouvent à Babylone et à Ninive et dont l’origine mythologique n’est pas douteuse. Ce sont les terribles nuées d’orages, d’où sortent les éclairs comme des épées flamboyantes, cachant aux yeux profanes le maître du tonnerre, et dont l’office est d’écarter les téméraires qui oseraient affronter sa présence immédiate. Le sacrifice humain tient une large place dans les religions sémitiques, surtout dans le culte de Moloch, et l’un des titres de gloire du jehovisme épuré est d’avoir combattu à outrance cette abominable coutume. Nous voyons toutefois des traces positives de la consommation de ce sacrifice en l’honneur de Jehovah. Les histoires de Jephté et de sa fille, de Samuel et d’Agag, de David et des Gabaonites, en fournissent des preuves inéluctables. La circoncision à son tour ne s’explique bien que par l’idée de racheter la vie des mâles moyennant un premier sacrifice sanglant au dieu dont la colère doit être apaisée. Il est, entre autres argumens qui appuient cette supposition, un très curieux passage de l’Exode. Lorsque Moïse revint en Égypte avec sa femme Séphora et son fils incirconcis, Jehovah le rencontra et voulut le faire mourir ; mais alors Séphora circoncit son enfant, et Jehovah épargna Moïse. Le même sentiment doit se trouver au fond des lois jehovistes qui prescrivaient la consécration des premiers-nés, leur rachat à prix d’argent, ainsi que l’immolation des premiers veaux et des premiers agneaux sortis des entrailles de leurs mères. Une foule d’images et même de descriptions prolongées tendent à ramener l’essence de Jehovah à celle de la lumière ou du feu. Le « buisson ardent » qui flamboie sans se consumer révèle sa présence ; le « feu dévorant » annonce sa gloire sur le sommet du Sinaï ; les charbons s’embrasent à son approche. Le titre de Jehovah Zébaoth ou Jehovah des étoiles, la sainteté des nombres 7 et 12, une masse de détails du culte israélite et de coutumes religieuses que plus tard les prophètes combattirent comme impies et criminelles, et dont ils ne parvinrent à triompher entièrement qu’au temps de la captivité, — tout cela concourt avec ce qui précède à démontrer que le jehovisme épuré du VIIIe et du VIIe siècle ne peut remonter jusqu’à Moïse. Ce qu’on peut, ce qu’on doit penser, c’est que le jehovisme de Moïse contient le principe historique du monothéisme, mais ce principe seulement, et que le temps, divin logicien, fit le reste.

Quel fut ce principe générateur du monothéisme ? Ce fut le