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La responsabilité sérieuse du gouvernement d’un autre côté, ce serait sans aucun doute de méconnaître ce sentiment public énergique qui ne répudie les expédiens révolutionnaires que parce qu’il a la confiance de voir s’accomplir plus sûrement et plus efficacement dans la paix intérieure la transformation libérale qui est commencée. Nous croyons parfaitement inutile de mettre sans cesse en suspicion les intentions de ceux qui ont le pouvoir entre leurs mains, et quand il n’y aurait que la liberté à peu près absolue dont jouit actuellement la presse, dont elle use jusqu’à la dernière limite, ce serait assurément une marque d’assez bonne volonté de la part de ceux qui ont à leur disposition des lois dont ils pourraient se servir. Le gouvernement, nous en sommes convaincus, ne garde aucune arrière-pensée sérieuse de réaction. Maintenant, dit-on, les ministres vont se rendre à Compiègne, où l’empereur s’est transporté, pour préparer auprès du chef de l’état les projets qui devront être présentés au corps législatif. Malheureusement ce n’est pas tout de laisser parler les journaux et de préparer silencieusement des lois pour le corps législatif. Le plus grand danger, c’est cette intermittence d’action et cette incertitude apparente qui laissent place à toutes les suppositions, qui font croire à une monotone lenteur de délibération et de résolution, lorsqu’il y a immensément à faire. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est raviver partout l’impulsion, reconstituer le pays à tous les degrés de la hiérarchie. Il n’y a point à se bercer d’illusions, le pouvoir discrétionnaire est usé à tous les degrés, et ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’on finit par s’apercevoir qu’il n’avait pas même l’efficacité qu’il s’attribuait, — qui pouvait passer à la rigueur pour une compensation de l’omnipotence. Nous connaissons un département où s’est passé récemment un fait curieux. Le préfet, dans un mouvement de zèle, avait voulu se rendre compte de la situation des communes, de leurs revenus, de la nature et du mode d’administration de leurs biens. Il avait rassemblé les renseignemens les plus authentiques, il s’était armé de chiffres, et le jour de la réunion du conseil-général il se présentait en homme sûr de lui-même, plein de confiance dans l’heureux effet qu’allait produire cette intéressante communication. À mesure qu’on avançait dans la lecture, ce fut dans le conseil une stupéfaction universelle, un feu croisé de réclamations. Les représentans cantonaux ne s’y reconnaissaient plus. Tout était brouillé, la vérité officielle n’était qu’une vérité de fantaisie. Il se trouvait simplement que des communes riches étaient représentées comme n’ayant rien, que d’autres communes assez misérables étaient notées comme possédant des propriétés et des revenus d’une certaine importance. Bref, il a fallu réparer cette bévue involontaire d’un préfet pris au piège de sa propre statistique, se mettre à une nouvelle enquête pour avoir des données moins incertaines, et ce qui se passe dans un département doit se passer dans beaucoup d’autres.

Ainsi voilà une autorité considérable, organe du gouvernement le plus