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statée par M. de Beaumont peu de temps après qu’il l’avait déjà entendue de ma bouche. Sans rien préjuger du but de sa visite, je lui disais : Vinssiez-vous offrir Rome et les états de l’église moins restreints qu’ils ne l’étaient avant le traité de Tolentino, je doute que des propositions aussi séduisantes tirassent le pape de sa paisible et trop chère indolence... Persuadé, continuait M. Lagorse, que la perfidie de nos ennemis est l’effet d’un miracle dû à la ferveur de ses prières, Pie VII se borne à ce genre de guerre qui sert la passion de son cœur sans déranger ses occupations domestiques, n’exige aucun calcul politique, n’entraîne à sa suite aucune affaire, et donne un air de prévoyance et de finesse à la plus oisive incapacité. Probablement il vous dira qu’il ne veut traiter que lorsqu’il sera à Rome. Dites-lui de partir, et vous multiplierez ses embarras, et vous vous apercevrez qu’il tient beaucoup plus à conquérir la réputation d’un martyr que celle d’un grand prince, parce qu’il est bien plus facile de faire des prières que des traités... On préfère dire : Non, non, je ne veux pas parler des affaires publiques; laissons faire la Providence. — Eh bien! soit, laissons faire; mais, pour espérer un lot, encore faut-il placer une mise à la loterie[1], »


Après avoir exposé ces considérations de haute politique, M. Lagorse se demandait si ce ne serait pas un trait de dangereuse magnanimité que d’envoyer le pape en Italie sur sa bonne foi, et s’il conviendrait à la dignité de l’empereur d’avoir une explication préalable avec lui. Il ne le pensait pas. C’est pourquoi il proposait de tâter lui-même le terrain adroitement et par des paroles qui auraient l’air de lui échapper. « Si l’on voulait entamer quelque chose, il serait bon d’arriver au but par des causes très minces : répandre par exemple le bruit qu’on se propose de nous changer de place, appeler l’archevêque d’Édesse à Paris, enfin déranger quelques habitudes. Il n’en faudrait pas davantage pour rompre la glace et sortir de la léthargie. » Pendant que M. Lagorse envoyait à Paris ces propos de caserne, les deux anciens secrétaires da Pie VII, les cardinaux Pacca et Consalvi, faisaient demander M. de Beaumont, et lui expliquaient en termes graves et mesurés les véritables raisons pour lesquelles Pie VII ne voulait pour le moment se prêter à aucun traité.


« Nous avons, lui disaient-ils, communiqué à sa sainteté notre conversation avec vous. Elle a été méditée, soumise à une longue et mûre délibération. Voici ce que, dans l’état actuel de l’Europe, nos lumières nous suggèrent. — Par les regrets que le bref de Savone et le concordat de Fontainebleau ont causés au pape et par les résultats qu’ils ont produits, il est facile de voir que des arrangemens sur les affaires spirituelles ne seront immuables que lorsqu’ils seront débattus et terminés dans un état de complète indépendance. Le traité que nous ferions aujourd’hui, si

  1. M. Lagorse au ministre des cultes, 22 décembre 1813.