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Lagorse valût celle que l’habile préfet de Montenotte avait jadis entretenue avec le ministre des cultes. M. Lagorse n’était point d’ailleurs un méchant homme. Il se piquait d’esprit; il n’en eût même pas manqué, s’il n’avait eu le tort de s’exagérer un peu l’importance de ses fonctions. Habitué à garder des prisonniers plus dangereux que ceux qui étaient présentement confiés à sa garde, il était disposé, les trouvant si tranquilles, à les croire tout à fait inactifs, et à s’attribuer à lui-même le mérite de leur sagesse. Voici, sur ce sujet, les curieux passages d’une lettre qu’il adressait le 5 mai 1813 à M. Bigot de Préameneu :


« ...Lorsqu’à Savone et à Fontainebleau mes fonctions près du pape avaient une espèce de forme diplomatique, je m’en félicitais. J’étais un médiateur commun, un agent plus essentiel que brillant, par la voie duquel les communications, sans avoir un caractère officiel, n’en étaient pas moins sûres et moins promptes, et je n’ai jamais rien écrit ni rien dit qui n’eût pour objet la satisfaction des deux souverains et un rapprochement que je désirais avec une sorte de partialité pour l’empereur, partialité qui, vu mon caractère, ma façon de penser et mon état, est et sera toujours invariable. Vous savez sûrement aussi bien que moi quels nuages ont troublé le jour serein dont nous nous étions tous si franchement félicités. Vous en avez conclu avec raison que des ordres nouveaux m’imposent de nouveaux devoirs; mais je crains que vous ne vous soyez exagéré mes relations avec le ministre de la police. Je lui écris à peine tous les quinze jours, et l’une de mes grandes jouissances serait qu’on publiât toute ma correspondance avec lui. Je ne balance pas d’ailleurs un instant à vous initier à des secrets dont vous serez, par mon canal, l’unique dépositaire. L’empereur a voulu en partant que les cardinaux sussent qu’il ne les laisse à Fontainebleau qu’à la condition expresse de ne rien publier ni écrire, et d’être de la plus grande réserve et discrétion. J’ai été chargé de leur faire cette déclaration, et je l’ai faite. Leur intérêt les porte à s’y conformer, et ils écouteront leur intérêt tant que des ordres plus impérieux ne seront pas prescrits à leur conscience et à leur pieuse fidélité. On eût prévenu une pareille inquiétude en les éloignant, et c’était mon avis. J’ai lieu de croire toutefois que le pape n’a aucun projet hostile, et qu’il ne se déterminera à aucun acte qui puisse alarmer les consciences ou troubler la tranquillité de l’état. S’il se mettait en pareilles dispositions et que je les entrevisse, je ne les souffrirais pas. Ma qualité de Français et ma fidélité de sujet sont un double garant de mon empressement à prévenir tout acte d’hostilité. Je ne ferais pas une guerre sourde, qui a toujours été loin de mes principes et de mon caractère. Je me mettrais dans les rangs à découvert, et nul ne prétendrait cause d’ignorance de ma volonté et de mes actions. Commentez ce que je viens de vous dire, monseigneur, et vous aurez une idée de mes conversations