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garde de 40,000 hommes; puis il lui annonçait comme assurés et prochains des succès qui malheureusement ne devaient jamais se réaliser. «J’ai ordonné, lui écrit-il, que mes chevaux de selle et ma maison fussent réunis et réorganisés à Berlin au lieu de Magdebourg, et j’ai recommandé qu’on annonçât ma prochaine arrivée à Berlin. Les vingt-deux régimens composés des quatre-vingt-dix bataillons de cohortes sont superbes….. J’ai en marche un superbe corps de 20,000 hommes tirés des troupes de marine, et dont le moindre soldat a un an de service ; ce sont eux-mêmes qui ont demandé à marcher. Vous devez dire, et vous-même être bien convaincu, que la campagne prochaine je chasserai l’ennemi au-delà du Niémen[1]. » Le coup d’œil exercé de l’empereur s’était-il trompé à ce point sur la valeur des services qu’il pouvait attendre des cohortes et des régimens de marine, ou bien avait-il seulement voulu, par l’étalage de ces fières espérances, ranimer l’ardeur passablement abattue de ses lieutenans, demeurés aux prises avec les rigueurs d’une saison de plus en plus inclémente et les attaques d’un ennemi dont les forces allaient toujours en croissant? Cela serait assez difficile à démêler. Ce qui est trop certain, c’est que l’empereur cédait à une double illusion quand il ordonnait au prince Eugène de lui tenir ses chevaux de selle prêts à Berlin afin de reprendre l’offensive contre la Russie, et quand il engageait en même temps les évêques de France à chanter un Te Deum pour célébrer sa réconciliation avec le saint-siège. Chacun sait combien les choses tournèrent différemment, et comment, au début de la campagne de 1813, Berlin dut être immédiatement évacué, la Prusse, notre alliée de la veille, s’étant rangée tout à coup parmi nos ennemis. On connaît également les phases diverses par où passa la diplomatie de M. de Metternich : presque amicale avant le commencement des opérations militaires, graduellement menaçante à mesure qu’augmentaient nos embarras, enfin décidément hostile. Tous les détails des négociations qui ont précédé, accompagné ou suivi la rupture du congrès de Prague, le rejet des propositions de Francfort et la dissolution des conférences de Châtillon ont été maintes fois portés à la connaissance du public. Une foule de documens historiques et de mémoires personnels ont jeté une abondante lumière sur ces incidens, auxquels ont pris part tant d’hommes d’état français ou étrangers. Les circonstances qui précédèrent la rétractation du concordat de Fontainebleau par Pie VII sont au contraire enveloppées d’une obscurité assez grande. La plupart des historiens de l’empire ont à cet égard gardé le silence. Il semble, si l’on excepte le cardinal Pacca, que les membres du sacré-collège mêlés à cette affaire

  1. Lettre de l’empereur au prince Eugène, commandant de la grande armée, à Posen, Paris, 29 janvier 1813. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXIV, p. 467.