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marche a été suivie par les hommes qui ont précédé l’époque du Vêda et de l’Avesta. D’ailleurs il est à peu près établi que les migrations aryennes venues en Europe ont quitté le centre commun de la race avant les époques correspondant à ces livres sacrés ; la comparaison de leurs anciens dogmes avec ceux des tribus aryennes de l’Asie nous reporte donc à des temps fort reculés ; l’élimination des différences qu’ils présentent les ramène à une croyance commune plus simple que chacun d’eux et plus proche de leur origine. On peut donc affirmer que, si dans la suite des siècles les recherches individuelles ont été le point de départ de chacun des développemens particuliers de la religion et par conséquent la cause de la diversité de ceux-ci, des recherches individuelles ont de même donné naissance au dogme primitif, et qu’enfin il y a eu une première idée d’où ce dogme lui-même est sorti.

Quand ce premier homme apporta sa découverte à ceux de sa race, elle put être ou acceptée ou combattue, puisque c’est là le sort de toute idée. Elle eut donc, elle aussi, à soutenir la lutte pour l’existence. Toutefois, comme elle se présentait avec une haute supériorité, ce qui suivit démontre qu’elle attira un grand nombre d’esprits, car elle finit par devenir le dogme commun de toute notre race, et se transmet encore à des hommes de races inférieures et étrangères à la nôtre. Il y eut donc une période, dont la durée est inconnue, où, d’individuelle et privée qu’elle était, elle devint commune et publique. C’est ce que nous pourrions appeler la période d’incubation de l’orthodoxie. Si l’on admet avec quelques savans que la doctrine fut révélée tout entière et explicitement à ce premier homme, on admet en même temps que tout ce qui y a été ajouté depuis en est une déviation, procède de volontés mauvaises et d’intelligences dévoyées ; on condamne d’un seul mot toutes les religions issues de la souche primitive ; enfin on se jette dans une foule de contradictions et d’hypothèses dont aucune n’est compatible avec les méthodes scientifiques les plus élémentaires. Une pensée beaucoup plus juste avait été émise déjà par plusieurs poètes védiques, et paraît avoir été celle de Jean l’évangéliste ainsi que de beaucoup d’hommes très instruits et très sincères soit de l’antiquité, soit des temps modernes. Cette pensée est celle-ci, à savoir que la révélation s’opère en chacun de nous ; elle ôte l’apparente contradiction de la religion et de la science, elle rend compte de tout le passé des orthodoxies, en éclaire l’état présent, et permet d’en prévoir l’avenir.

Ainsi l’ordre de la nature, qui veut que toute forme ait des commencemens très petits, s’applique ici comme partout ailleurs. Du moment où un homme communique sa pensée à un autre homme, il la lui livre pour qu’il la féconde par sa propre initiative. Si la