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cipe absolu qu’il faut que les jeunes générations soient élevées pour le monde dans lequel elles doivent vivre. Si l’on s’obstine à imposer à un temps l’éducation d’un autre, on court le risque de ne former qu’une jeunesse dépaysée et mécontente. Ce fut, pour n’en citer qu’un exemple, un des principaux malheurs de l’empire romain. La république avait créé un système d’instruction pour la jeunesse où tout avait pour but de la former à la vie libre et de faire du jeune homme un orateur. Ce système arrive à sa perfection sous Auguste, au moment même où le silence se fait au Forum, et où la parole perd sa puissance dans le sénat ; n’importe : on était conservateur à Rome, Auguste prêchait le respect du passé tout en le détruisant, et l’on garda avec une incroyable fidélité cette éducation qui ne préparait les jeunes gens qu’à des déceptions et à des périls. Pendant tout l’empire, on déclama dans les écoles ; on déclamait encore après le triomphe du christianisme, et cette grande révolution qui renversa tant de choses ne parvint pas à détruire les usages surannés des rhéteurs[1]. Cherchons à préserver notre enseignement de ce ridicule et de ce danger. Acceptons volontiers les modifications que les changemens de la société rendent nécessaires. N’élevons pas de hautes barrières autour de nos écoles ; qu’au contraire le vent qui souffle partout y pénètre et les rajeunisse ; c’est de cette communication ou, si l’on veut, de cette communion avec l’esprit de notre temps, qu’elles tireront leur force.

Certes on ne peut pas adresser au XVIIe siècle le même reproche qu’à l’empire romain : on élevait alors les jeunes gens pour leur temps. On cherchait surtout à leur donner les qualités qu’on appréciait le plus, la politesse et la distinction ; dès le collège, on voulait faire des gens du monde. C’est le seul but que Rollin assigne à l’étude des auteurs anciens. « Elle met en état, dit-il, de juger sainement des ouvrages qui paraissent, de lier société avec les gens d’esprit, d’entrer dans les meilleures compagnies, de prendre part aux entretiens les plus savans, de fournir de son côté à la conversation, où sans cela on demeurerait muet, de la rendre plus utile et plus agréable en mêlant les faits aux réflexions et relevant les uns par les autres. » Le système d’enseignement était parfaitement approprié à ce dessein, on faisait beaucoup écrire et composer les élèves : ce n’est pas un bon moyen pour étendre l’esprit et le rendre fécond ; mais il n’y en a aucun qui enseigne mieux à bien disposer ses pensées et à distinguer avec soin les nuances du style. C’est as-

  1. On trouve dans les œuvres d’Ennodius, qui fut évêque au commencement du VIe siècle, des déclamations dont le sujet est tout à fait païen, et qui sont fort surprenantes chez un évêque. Il y en a une « contre un jeune homme qui avait tenté de séduire une vestale, » et une autre, plus étrange encore, « contre un homme qui avait placé une statue de Minerve dans un mauvais lieu. »