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contre Paul, est difficile à déterminer. Il est certain cependant qu’ils faisaient cause commune. Des trois, Jacques est le plus Juif, par conséquent le plus opposé à Paul, qui ne l’est plus du tout. Jean, s’il est l’auteur de l’Apocalypse, a lancé dans ce livre plus d’un trait à l’adresse de Paul et de ceux qu’il a séduits par ses impostures et ses prestiges. Pierre, dont le caractère historique semble peu d’accord avec celui que la tradition lui a prêté, homme timide, irrésolu, de grandes intentions, mais de faible volonté, poussant l’esprit de conciliation jusqu’à l’effacement de soi, dut incliner du côté de Jacques tant qu’il resta auprès de lui. Dans l’Epître aux Galates, il est nommé comme l’apôtre de la circoncision ; dans la première aux Corinthiens, Paul parle de ceux qui prennent le nom de Pierre pour bannière de leur parti, et ce parti n’est pas le sien. Dans la littérature pseudo-clémentine, le même Pierre est représenté comme le constant adversaire de Paul. Il nous est montré le suivant en quelque sorte à la piste pour détruire ses maléfices et guérir les âmes qu’il a infectées de son venin. Cette littérature n’appartient pas, il est vrai, à l’âge apostolique ; elle n’en atteste pas moins un certain état de l’opinion, une tradition reçue dans l’église. Si Jacques y est appelé l’évêque des évêques et joue le personnage d’un grand pontife, arbitre souverain de la pure doctrine, dont le certificat est nécessaire pour qu’on soit apôtre légitime, Pierre est le soldat de la foi légale qui poursuit l’erreur en tous lieux et assure la victoire à la vérité.

On sait que Paul ne céda point. Il fit face de toutes parts à ses adversaires, soit en payant de sa personne, soit par ses amis ou ses lettres. Il rendit guerre pour guerre et coup pour coup, attaquant et se défendant tour à tour. Il renvoyait à ses ennemis les noms de faussaires, de faux apôtres et de suppôts de Satan. L’invective et l’épigramme coulaient à flots de sa plume. Le point faible de sa défense, comme le dit M. Renan, c’est qu’il n’avait pas connu Jésus et ne pouvait invoquer auprès des siens l’élection du divin maître, dont les douze se targuaient. Où donc était l’esprit de Jésus dans ces âpres et violens débats ? Nulle part sans doute, car son esprit était un esprit de paix et d’amour, non de dispute et de haine. Pourtant n’était-ce pas en vérité celui qui ne l’avait pas connu qui était son véritable interprète, son disciple le plus fidèle ? Paul alléguait ses révélations, ses visions, son commerce intime avec l’âme du Christ ; il apportait pour preuve de cette communication les prodiges qu’il avait accomplis en son nom, ses œuvres solides d’apôtre, la doctrine du salut répandue en tant de lieux, sa vie vouée tout entière au bien des autres au milieu de tant de périls et de souffrances. C’était trop peu cependant pour beaucoup de fidèles des églises de Grèce et d’Asie. Travaillés par