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aux fidèles de Rome. Paul depuis Éphèse remuait en sa tête de vastes projets; il avait parcouru presque toute la partie orientale de l’empire. Il songeait à s’engager plus avant vers l’occident. Il aspirait à Rome. Aquila et Priscille avaient dû lui parler de cette ville si bien faite pour devenir un vaste foyer de prédication et comme une autre et plus grande Antioche. D’abord il voulait revoir Jérusalem. Depuis plusieurs années, il s’occupait activement d’une collecte d’aumônes qu’il comptait porter aux pauvres de la ville sainte comme un gage d’union. Vers l’été de l’an 58, accompagné des délégués des églises de Grèce, de Macédoine et d’Asie, porteurs des cotisations recueillies pour les pauvres de Jérusalem, il se mit en route pour la ville de Jésus, l’âme remplie de funestes pressentimens, et y fit son entrée quelques jours après la Pentecôte. Sa vie de missionnaire est achevée, sa passion commence.

Depuis douze ans, les Juifs poursuivaient Paul de leur haine impuissante. Sa présence à Jérusalem était un dangereux défi. On le reconnaît, on s’attroupe, on s’excite, on se jette sur le séducteur et l’ennemi de la loi, on va le mettre en pièces. La police romaine intervient, arrache Paul aux mains des Juifs qui voulaient le massacrer. Le tribun Lysias le fait conduire en prison, ordonne de lui appliquer la torture pour savoir son crime; puis, effrayé de sa responsabilité, car Paul avait revendiqué son titre de citoyen romain, il l’envoie sous la protection d’une escorte à son chef hiérarchique Félix, résidant à Césarée. Les Juifs s’y transportèrent, l’accusèrent vivement, demandant qu’il leur fût livré. Félix refusa, et aussi Perclus Festus son successeur. La captivité de Paul traîna ainsi deux ans. Enfin le prisonnier fit appel à césar. On l’embarqua pour Rome, où il entra après une longue et périlleuse navigation au commencement du printemps de 61. Le Saint Paul de M. Renan se termine à l’arrivée de l’apôtre dans la ville éternelle. Nulle vie ne fut plus agitée que la sienne, plus féconde en travaux, en grands résultats, en épreuves de toute espèce. Ce n’était point par vaine gloriole que, se comparant aux autres apôtres et rappelant ce qu’il avait fait et souffert, Paul s’écriait : « Allons, puisqu’il est de mode de chanter sa propre gloire, chantons la nôtre. Tout ce qu’ils peuvent dire en ce genre de folie, je le peux dire comme eux. Ils sont Hébreux; moi aussi, je le suis. Ils sont de la race d’Abraham; moi aussi, j’en suis. Ils sont ministres du Christ ; ah! pour le coup je vais parler en insensé! je le suis bien plus. Plus qu’eux j’ai accompli de travaux, plus qu’eux j’ai été en prison, plus qu’eux j’ai subi de coups, plus souvent qu’eux j’ai affronté la mort. Les Juifs m’ont appliqué cinq fois leurs trente-neuf coups de fouet, trois fois j’ai été bâtonné, une fois j’ai été lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit dans la mer. Voyages sans nombre, dangers au passage des