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mière mission, l’apôtre visita la partie méridionale de l’Asie-Mineure, et fonda ses premières églises de gentils, les églises des Galates, comme il les appelait; dans la seconde, il poussa jusqu’en Macédoine et mit le pied sur le sol grec; dans la troisième, il fit pénétrer l’Évangile dans le centre de l’Asie-Mineure. Les épisodes de ces pacifiques expéditions sont en général peu variés. M. Renan, grâce à la magie de son style, aux détails pittoresques dont il entremêle son récit, aux vives et délicates peintures des pays et des caractères, a su donner à cette odyssée, forcément aride et monotone sous une autre plume, l’intérêt d’un roman.

Il y avait alors comme un universel besoin d’échanger ses idées. La philosophie avait dès longtemps perdu toute force d’invention; mais dans le domaine de la morale pratique elle aspirait à sortir des écoles, à se répandre, à interpréter la religion commune ou à se substituer à elle. Apollonius de Tyane courait l’Orient et l’Occident, enseignant la foule du haut des degrés des temples : Dion Chrysostome, Euphrate de Tyr, Plutarque, donnaient çà et là des séances de beau langage et de bonne morale. Musonius Rufus prêchait même à l’armée. Plus d’un de ces beaux esprits et de ces moralistes nomades put se croiser avec saint Paul. Lequel d’entre eux, en voyant ce pauvre artisan, ou en entendant ce sophiste d’une nouvelle espèce, ce parleur de foire, comme on disait à Athènes, pouvait imaginer qu’il portât dans sa besace les destinées de la civilisation? «Il ne faut pas, dit M. Renan, se représenter ces voyages comme ceux d’un François-Xavier ou d’un Livingstone, soutenus par de riches associations. Les apôtres ressemblaient bien plus à des ouvriers socialistes répandant leurs idées de cabaret en cabaret qu’aux missionnaires des temps modernes. Leur métier était resté pour eux une nécessité; ils étaient obligés de s’arrêter pour l’exercer. De là des retards, des mortes-saisons, mille pertes de temps. »

Si Dion parlait en inspiré, si Apollonius était précédé d’une réputation de thaumaturge, Paul aussi, paraît-il, ne refusait pas les prodiges à la crédulité de ses auditeurs. Il fallait frapper l’imagination populaire; on n’avait de succès qu’à ce prix. Pierre et Simon, suivant la tradition, faisaient assaut de miracles; de même à Néa-Paphos, Paul et le sorcier Barjésu se livrèrent à un tournoi de thaumaturgie en présence du gouverneur de l’île, Sergius Paulus. Plus tard, à Éphèse, Paul inspira une telle confiance dans ses formules que nombre de païens brûlèrent leurs livres de magie. Pour qui connaît le milieu où opérait saint Paul, ce qui paraîtrait surprenant, ce serait sans doute qu’il n’eût pas fait de miracle, c’est-à-dire qu’on ne lui en eût pas prêté. L’apôtre trouvait partout du reste une très vive résistance de la part des Juifs orthodoxes. Voici comment les choses se passaient d’ordinaire, Paul arrive dans une ville nouvelle,