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connaît que les choses humaines, il ne fût pas assez homme, assez homme de son pays et de son temps, et portât sous l’habit d’un « jeune villageois » une âme trop séraphique. Ici les têtes sont sans auréole, et l’atmosphère où se meuvent les personnages n’est pas différente de la nôtre. Paul n’est plus ce fier et beau chevalier que la statuaire se plaît à représenter la main appuyée sur l’épée de combat comme un des preux de Charlemagne. C’était un petit Juif, chétif, malingre, chauve, aux genoux cagneux, avec un nez d’aigle sous une ligne continue d’épais sourcils ; dans ce corps misérable habitait une âme violente et douce à la fois, pleine de fougue et d’onction, irritable à l’excès et prompte à l’ironie la plus amère, mais en même temps dévouée jusqu’à l’abnégation, droite et revenant facilement. De même Pierre et Jacques sont de plain-pied avec notre humanité. Les contours indécis et mollement baignés dans un bleu tendre ont disparu ; tous les traits sont nettement marqués. Le crayon, sans cesser d’être délicat, est plus ferme. La rêverie y trouve moins son compte, la raison est plus satisfaite. Au reste, M. Renan procède non par portraits achevés en une fois et d’un seul coup, mais par touches successives, de telle sorte que les figures s’éclairent, se complètent et se fixent à mesure qu’on avance dans son histoire.

M. Ernest Renan fait précéder son récit d’une introduction intitulée Critique des documens originaux. Ces documens, comme on sait, sont les seize derniers chapitres du livre des Actes des Apôtres, où il n’est guère question que de saint Paul, et les Epitres de ce dernier. Peut-être quelques critiques plus radicaux, tout en admettant que les seize derniers chapitres des Actes ont plus de valeur que les douze premiers, allègueront-ils qu’il est difficile d’accorder qu’une moitié de l’ouvrage soit presque entièrement légendaire et l’autre presque entièrement historique ; l’ouvrage en somme est d’une même main ; l’unité n’y peut être scindée d’une manière aussi tranchée. Si le commencement trahit un parti-pris d’édification à outrance, ce parti-pris est visible aussi à la fin, dans tout ce qui n’est pas pur récit et jusque dans certains faits imaginés ou modifiés à dessein. Quant à la critique des Epîtres de saint Paul, elle est un modèle de discussion lumineuse et serrée. M. Renan y établit que, des treize épîtres dont l’apôtre se déclare lui-même l’auteur dans la première phrase de chacune, l’Epitre aux Ephésiens est fort douteuse, bien qu’elle puisse être regardée comme un monument contemporain ou d’une date très voisine, les deux Epîtres à Timothée et l’Epitre à Tite sont décidément apocryphes. Les raisons par lesquelles il combat l’authenticité de ces trois lettres dites pastorales nous paraissent absolument sans réplique. M. Renan n’a rien dit d’autres pièces, comme les Homélies et les Reconnaissances