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celle-ci était affaibli dans l’âme du malheureux qui allait mourir. Cependant, par suite d’une contradiction qu’il est bien difficile d’expliquer et contre laquelle Lamoignon s’élevait déjà vainement de son temps, l’accusé, malgré les tortures inévitables qui l’attendaient, était tenu de prêter serment de dire la vérité; cet usage impie par lequel ou forçait un homme à déposer contre lui-même ou à devenir parjure fut maintenu jusqu’à la révolution; l’assemblée nationale l’abolit. Par décret du 8 octobre 1789, elle détruisit aussi la question préalable, que Louis XVI avait déjà provisoirement supprimée par sa déclaration du 1er mai 1788. Quant à la question préparatoire, elle n’existait plus depuis le 24 août 1780. L’accusé, pris entre son serment et la question comme dans un étau d’où il ne pouvait échapper, avait-il, sinon le droit, du moins la possibilité de se défendre, d’appeler près de lui un conseil et de réfuter les argumens dirigés contre lui? Nullement. Richelieu, par une seule phrase, a pénétré d’un jour singulièrement douloureux la justice de son époque. « L’éclaircissement de l’accusation par témoins et par pièces irréprochables doit être communément préalable à toute chose, écrit-il ; mais il y a telle accusation qu’il faut commencer par l’exécution. » De pareils principes, lorsqu’ils sont appliqués, conduisent purement et simplement à l’assassinat. Dans l’affaire du comte de Bonnesson, huguenot normand qui fut décapité à la croix du Trahoir[1] le 13 décembre 1659, « l’accusé porta les prétentions pendant son procès, disent les correspondances officielles du temps, jusqu’à demander un avocat. » L’accusé était définitivement jugé sur pièces, à huis clos; il ne comparaissait devant ses juges que pour être interrogé, et c’est alors qu’il était placé sur la sellette, petit siège extrêmement bas, sans dossier, et qui lui mettait « les genoux dans le menton. » Les motifs que l’on invoquait pour refuser à tout individu compromis dans une affaire capitale le droit de se faire assister d’un avocat reposaient sur une argutie au moins étrange. « Comme il ne s’agit ordinairement dans les procès criminels que de faits que personne ne connaît mieux que l’accusé, le conseil qui lui serait donné ne pourrait servir qu’à lui suggérer des moyens propres à atténuer la vérité de ces mêmes faits et à éloigner la punition du crime[2]. » Non-seulement la justice semblait n’avoir nul souci de l’accusé, mais il arrivait que ces formes étaient jugées trop lentes, ou qu’elles paraissaient trop indulgentes encore; il n’est pas sans exemple que

  1. La croix du Trahoir était située au point de jonction de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré : une fontaine en a pris la place aujourd’hui.
  2. Cf. Pothier, cité dans des Tribunaux et de la Procédure au grand criminel au dix-huitième siècle, etc., par M. Ch. Berriat Saint-Prix, conseiller à la cour impériale.