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leur âpreté au gain, leur habileté à gruger et à dépouiller leurs maîtres, grands seigneurs ou bourgeois, nobles chevaliers ou pauvres étudians ! Et les usuriers, cette race maudite issue du démon : car c’est Dieu qui a créé les laboureurs, les clercs et les soldats ; mais les usuriers, c’est le diable qui a inventé cette quatrième classe ! Aussi que d’anecdotes sur eux, que d’exemples de châtimens célestes, d’expiations épouvantables ! Qu’importe à ces oiseaux de proie ? Ils se rient de la haine des hommes et de la colère de Dieu. Parfois, il est vrai, quelque puissant seigneur les pressure et les malmène ; mais comme ils s’en vengent sur ceux que la nécessité réduit à les implorer ! Ce brave chevalier qui part pour la croisade, il a besoin d’argent, il tombe aux griffes de l’usurier : dès lors il est perdu. Bientôt il est ruiné jusqu’au dernier sou, sa famille est sur la paille, lui-même en prison, et l’auteur de sa misère, enrichi à force d’iniquité, fils de vilain, vilain lui-même, se fait appeler seigneur et monseigneur par ceux-là qui le méprisent et le haïssent !

Ainsi se presse devant nos regards tout un cortège de figures vivantes et agissantes. Certes, dans cette espèce de lanterne magique, la silhouette de l’humanité ne se profile pas sous des traits flatteurs. Pourtant il ne faudrait pas croire que les prédicateurs ne se plaisent à peindre que les laideurs morales. Ils sont sévères, mais non point injustes ni haineux, et ils savent à propos reconnaître et glorifier les vertus des hommes. Il est tel beau trait, rapporté par ces professeurs de morale si peu enclins à ménager leurs disciples, qui nous en dit plus long à la louange de l’homme que tous les plus fameux exploits des héros de l’antiquité.

De pareils traits ne sont pas rares chez les Elinand, les Étienne de Bourbon, les Jacques de Vitry. Combien sans doute ne seraient-ils pas plus nombreux encore, si nous possédions ces allocutions familières qu’à toute occasion ces pieux instructeurs adressaient à leurs ouailles ! car ils ne se bornaient pas à faire descendre de la chaire le reproche et le blâme ; ils portaient eux-mêmes à chacun l’encouragement et la consolation. Ce même prédicateur que nous avons vu tout à l’heure citer à son tribunal l’ouvrier déshonnête, le paysan vicieux, le commerçant trompeur, l’artisan improbe, nous le voyons exalter le négoce et le travail honnête, nous le voyons, dans la vie de tous les jours, s’efforcer noblement de « relever à ses propres yeux la classe ouvrière, et de la faire concourir selon son pouvoir au bien général de la grande communauté chrétienne. » Il parcourt les campagnes, et ne cesse d’y glorifier l’agriculture, cette « mère nourrice des peuples, sans laquelle la société ne pourrait exister. » Il se transporte au milieu de ces foires périodiques, de ces nundinœ, rendez-vous général des provinces et des nations voi-