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vers un même but, le triomphe de la religion, ils sont loin cependant de suivre les mêmes routes.

De nos jours, la prédication a pris un caractère plus essentiellement philosophique. La métaphysique, la politique même, ont envahi la chaire et hantent l’esprit de nos orateurs sacrés. Nous parlons ici, bien entendu, en thèse générale. On s’inquiète encore de la morale pratique, et l’on s’attaque parfois aux vices et aux excès du temps; mais c’est toujours d’une manière abstraite. On n’entre pas dans le détail, on obéit aux principes plutôt qu’on ne s’attache à la réalité. Et si nous suivons, non pas le clergé officiant, non pas les curés ou les prêtres qui montent en chaire par aventure ou par nécessité, et parlent alors tout simplement et tout naïvement, mais les prédicateurs par état, les orateurs sacrés dignes de ce nom, nous tombons en plein courant de théories et de dissertations métaphysiques. On s’empresse à réconcilier dans une fraternelle alliance la philosophie et le dogme; on s’acharne à introduire la politique dans la religion et la religion dans la politique, on s’évertue à résoudre en chaire le problème social. De même qu’au temps de Bossuet et de Fléchier, au temps où le grand roi façonnait tout un siècle à sa majestueuse image, l’éloquence sacrée était aristocratique, toute d’étiquette, et ne descendait pas des généralités nobles et solennelles, de même à notre époque de démocratie cette même éloquence, obéissant au mouvement universel, se complaît dans les questions ardues, dans les abstractions, dans les théories sociales, politiques, souvent étrangères à la religion.

Au moyen âge, autres sont les allures. La chaire n’est point alors si ambitieuse et n’a d’ailleurs pas de raison de l’être. De questions sociales et politiques, il n’y en a guère à cette époque, et l’église n’a pas à se préoccuper de prendre dans une société nouvelle une nouvelle attitude. Aussi la prédication est-elle tout simplement religieuse et pratique. L’unique soin est d’instruire et de moraliser, d’enseigner le dogme et de réformer les mœurs. Sans entrer dans le détail des innombrables divisions qui caractérisent au XIIIe siècle l’œuvre des sermonnaires, sans nous arrêter à distinguer les sermons du matin et les sermons du soir, les sermons sacrés et les collations[1], on les peut faire rentrer tous dans deux genres principaux : les sermons moraux et les sermons didactiques.

La plupart du temps, le prédicateur ne s’occupe que de faire pé-

  1. Les sermons sacrés étaient les sermons débités au prône et relatifs à l’évangile ou à la fête du jour. Les collations étaient les sermons prononcés soit aux vêpres, soit aux autres offices de la fin de la journée. On les appelait aussi sermones post prandium, par opposition aux sermones in mane ou sermons proprement dits, prêches le matin pendant la messe.