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Reliquaire, des Intimités et des Poèmes modernes, qui, la veille de son succès à la scène, pouvait dire comme son héros :


… Dès demain, je saurai si Florence
Aime toujours le luth et les chansons d’amour.


Comme lui, il était incertain sur la voie à suivre. Le Reliquaire, excepté les deux pièces de la Sainte et des Aïeules, manque, à notre avis, d’originalité. En le dédiant à « son cher maître, » l’auteur fait lui-même l’aveu de la direction à laquelle il obéit. Le dédain qu’il marque dès sa première page pour l’élégie est d’emprunt : la nature lui avait donné un talent sensible et tendre, l’école n’a pu faire de lui un impassible olympien. Certaines pièces trahissent une imitation directe. Le Justicier est une réminiscence visible des Poésies barbares, qu’il a dû beaucoup étudier. Malgré quelque mélange d’élémens différens, ce volume annonçait un poète descriptif moins l’érudition hellénique ou orientale, un Leconte de Lisle en petit et qui n’avait pas dépassé les limites de la banlieue. Une page des Intimités avoue des préférences marquées pour M. Sainte-Beuve, pour Musset et pour Baudelaire, que le poète met ensemble, chose singulière, et qu’il appelle les a doux et les souffrans. » De la poésie rêveuse, psychologique, de M. Sainte-Beuve, nous ne trouvons ici aucune trace ; mais il y a la marque de la lecture de Baudelaire dans une petite pièce qui se termine par ce vers :


Quelque chose comme une odeur qui serait blonde,


et que nous ne transcrivons pas, puisque c’est là une de ces méprises dont l’auteur nous semble s’être corrigé. Il ne restera en lui, nous l’espérons, de cette influence de Baudelaire, qu’un exemple curieux de ce qu’a pu faire pour gâter les jeunes esprits une renommée équivoque née dans une brasserie, et qui pourtant s’est répandue un instant dans des milieux plus sains. Si les Intimités laissent apercevoir çà et là une sorte de Baudelaire jeune et candide, la trace d’Alfred de Musset y est plus visible encore, mais c’est une imitation toute de surface. Comment en serait-il autrement ? Qui peut désormais, après les Nuits et la Lettre à Lamartine, espérer, en sondant ses blessures, de faire tressaillir les âmes ? M. Coppée se trouvait entre deux écueils, celui d’exagérer quelque légère souffrance morale que les années font oublier et celui de paraître affecter une douloureuse expérience à laquelle on ne croirait pas. Il a eu le bon goût d’éviter presque toujours le second, il n’a pas échappé au premier, si l’on doit s’en rapporter à certains vers tels que ceux-ci :


Passé, passé fatal par qui ma vie est prise !
Poison amer et doux dont on meurt, mais qui grise !…