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Dobrzyn (août 1409), et donna par là le signal de la guerre, de la « grande guerre, » — bellum magnum, bellum stupendum, bellum punicum, ainsi que l’appellent les chroniqueurs du XVe siècle. Ce n’est toutefois que dans l’été de l’année suivante qu’eut lieu la campagne décisive. Elle ne dura qu’un mois et ne compta qu’une seule bataille rangée ; mais cette bataille fut l’immense désastre de Grunwald.

Lorsque, dans la matinée du 15 juillet 1410, le soleil, en se levant sur la grande route de Marienbourg, commençait à éclairer de ses ardens rayons le vaste amphithéâtre qui, des hauteurs de Tannenberg, s’étend en pentes douces jusqu’aux buissons de Grunwald, deux armées, on dirait deux mondes, s’y trouvaient déjà en présence. D’un côté, dans les broussailles de Grunwald, c’était Jagello avec ses Polonais, ses Lithuaniens, des mercenaires tchèques et valaques et jusqu’à un corps auxiliaire de Tatares que Witold, « l’ami des khans, » n’avait pas hésité à amener avec lui sur le champ de bataille. En face, sur le plateau de Tannenberg, les chevaliers teutoniques, couverts du fameux manteau blanc à la croix noire, parcouraient les rangs de leurs troupes bien disciplinées et des mercenaires nouvellement engagés ; ils saluaient aussi avec joie les anciens frères d’armes, les « frères allemands, » les preux et vaillans fils nobles de toute l’Europe, qui, cette fois comme toujours, s’étaient empressés de venir à la rescousse du glorieux ordre dans sa lutte suprême avec les « païens. » Jamais la chrétienté n’avait encore vu un pareil déploiement de forces, car le grand-maître commandait dans cette journée à plus de quatre-vingt mille hommes, et le roi Ladislas II à plus de cent mille. Ulric de Jungingen n’était nullement préoccupé de la supériorité numérique de l’adversaire, « Cette vile tourbe a plus de cuillers que d’épées, » avait-il dit à ses comthurs bardés de fer, lorsqu’il fut question un jour de l’armée que saurait réunir Jagello. Et que pouvaient en effet les grossiers arcs et les ridicules catapultes des pauvres Lithuaniens contre les fusils, alors déjà très perfectionnés, de l’ordre, et contre les canons « extraordinaires » des célèbres fonderies de Marienbourg ? D’ailleurs, dans le camp des chevaliers, tout le monde savait déjà la grave nouvelle que Jagello cachait soigneusement depuis trois jours à ses troupes, la nouvelle que Sigismond de Luxembourg venait enfin de dévoiler son jeu. Les ambassadeurs de Sigismond avaient jusque-là constamment accompagné Ladislas II dans sa marche vers la Prusse ; ils étaient des médiateurs, ils allaient d’une armée à l’autre avec des propositions de paix, lorsque soudain, le 12 juillet, trois jours avant la bataille, ils remirent au roi une lettre du vicaire de l’empire qu’ils portaient sur eux depuis long-