Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elles n’auraient plus qu’à se traîner misérablement à la suite de ces dernières, qui leur lesteront toujours fort supérieures en rigueur et en précision. On a vu ce que serait l’histoire privée des révélations de conscience, le règne de la fatalité, l’école du succès partout et toujours glorifié. Il serait facile de montrer comment la politique, réduite à ses données propres, n’est plus que l’art de Machiavel plus ou moins accommodé aux nécessités des temps et des lieux. Il ne serait pas plus difficile de faire voir comment l’économie politique, si cette lumière lui manque, perd de vue l’homme et sa haute destinée, c’est-à-dire le but final où tend tout ce mouvement de la production et de la distribution de la richesse. Quant à la morale proprement dite, principes et développemens, elle est contenue tout entière dans la conscience. Elle n’attend rien des belles spéculations de la métaphysique sur l’ordre et l’unité de la vie universelle. Elle n’a aucune lumière à demander à la théolosie, qui lui emprunte au contraire ce qu’elle a de meilleur et de plus pur; en un mot, elle commence et finit à la conscience.

Il est temps qu’une réaction s’opère en faveur des vérités de conscience. La méthode scientifique appliquée aux études morales est excellente. La méthode historique dont notre siècle est fier a fait merveille, et ses travaux sont dans toutes les mains; mais à ce double esprit il faut un contre-poids, et ce contre-poids ne peut se rencontrer que dans le sens psychologique, trop rare aujourd’hui et trop peu fécond en œuvres. Qu’on ne s’y trompe pas, notre siècle positif a encore moins de goût pour les analyses psychologiques que pour les spéculations métaphysiques. Son esprit est essentiellement distrait, il regarde tout, le ciel, la nature, l’histoire, avant de se regarder soi-même. Pourtant où trouver ailleurs que dans les enseignemens intimes la lumière qui peut nous éclairer au milieu des négations dont la science actuelle nous donne le spectacle? « Il y a une lumière intérieure, dit Maine de Biran, un esprit de vérité qui luit dans les profondeurs de l’âme et dirige l’homme méditatif appelé à visiter ces galeries souterraines. Cette lumière n’est pas faite pour le monde, car elle n’est appropriée ni au sens externe ni à l’imagination; elle s’éclipse ou s’éteint même tout à fait devant cette autre espèce de clarté des sensations et des images, clarté vive et souvent trompeuse qui s’évanouit à son tour en présence de l’esprit de vérité[1]! »

Un grand effort se fait depuis quelque temps pour transformer les études de l’ordre moral et en faire de véritables sciences en leur assignant le même objet qu’aux sciences physiques et naturelles, à savoir la recherche des lois qui régissent les faits. Ce but est excellent,

  1. Préface du livre des Rapports du physique et du moral.