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par le sens intime, le mysticisme prend alors un tout autre caractère, et, au lieu d’annuler les facultés propres de l’âme humaine, il ne fait que les porter à leur plus haute puissance. A part l’illusion d’optique psychologique qui fait croire au mystique que c’est une autre volonté que la sienne qui opère en lui, c’est bien la vie de l’esprit, la même vie pour le sage que pour le saint. L’âme humaine peut s’abandonner en toute sûreté à toutes les abnégations de sa personnalité, à toutes les tendresses de son amour, à toutes les effusions de la grâce qui fait irruption en elle, car en tout cela elle ne sort pas des limites de la conscience ; elle y entre, elle s’y enfonce de plus en plus. Le Dieu auquel elle se donne ne diffère d’elle-même que par le degré de perfection; la volonté divine à laquelle elle se soumet n’est que l’idéal de sa propre volonté.

Voilà le signe infaillible auquel on distingue le bon du mauvais mysticisme. Pendant que celui-ci, à la suite des illuminés de tous les temps, fait sortir l’âme humaine des limites de la conscience pour la précipiter dans les folies de l’imagination visionnaire ou dans les anéantissemens de l’extase alexandrine, celui-là la maintient dans le sanctuaire même du for intérieur, au plus profond, au plus pur, au plus vraiment divin de la nature humaine. C’est le mysticisme de l’école d’une sainte Thérèse et d’un Fénelon. Quand sainte Thérèse s’écrie : « Mon Dieu, l’enfer, s’il le faut, pourvu que je puisse encore vous aimer! » n’est-ce pas là le langage des vrais amans, n’est-ce pas là un cri sorti du cœur de la plus aimante des femmes? Fénelon explique fort bien le caractère de ce mysticisme. « Ce n’est qu’après l’extirpation de la vie maligne et corrompue du vieil homme, dit-il, que nous passons dans la vie de l’homme nouveau. Il faut que tout meure, douceurs, consolation, repos, tendresse, amitié, honneur, réputation : tout nous sera rendu au centuple; mais il faut que tout meure, que tout soit sacrifié. Quand nous aurons tout perdu en vous, ô mon Dieu, nous retrouverons tout en vous. Ce que nous avions en nous avec l’impureté du vieil homme nous sera rendu avec la pureté de l’homme renouvelé, comme les métaux mis au feu ne perdent point de leur pure substance, mais sont purifiés de ce qu’ils ont de grossier. Alors, mon Dieu, le même esprit qui gémit et qui prie en nous aimera en nous plus parfaitement. Combien nos cœurs seront-ils plus grands, plus tendres et plus généreux ! Nous n’aimerons plus en faibles créatures et d’un cœur resserré dans d’étroites bornes : l’amour infini aimera en nous, notre amour portera le caractère de Dieu même[1]. » Le philosophe religieux Maine de Biran n’a point une autre manière d’entendre l’union mystique de l’âme avec Dieu, sauf

  1. Manuel de piété, p. 154.