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à des lois. Si le savant veut en outre expliquer ces phénomènes, en chercher, comme on dit, la cause, il n’y a pour lui qu’une cause intelligible : la succession de deux ou plusieurs phénomènes étant donnée, c’est le phénomène antécédent qui sert de condition aux autres. Confondre la condition avec la cause des phénomènes, telle est la méthode spéculative du savant qui se hasarde à philosopher sur les choses de la nature. C’est ainsi que le physiologiste explique toute la vie morale par l’organisme. C’est ainsi que le chimiste explique toute la vie organique par la composition moléculaire. C’est ainsi que le physicien explique toute combinaison des molécules dites intégrantes par l’action des forces mécaniques. Enfin c’est ainsi que le philosophe de la nature explique la vie universelle par la seule loi de gravitation régissant les atomes comme les mondes. Telle est la nécessité logique des méthodes et des idées que la science moderne, avec ses incessans et admirables progrès, ne conclut pas sur ces points de haute philosophie autrement que la science ancienne, si imparfaite et si incomplète. Les atomistes de nos jours n’ont pas une autre philosophie de la nature que les atomistes anciens. C’est toujours l’hypothèse du mécanisme universel, avec toute la différence que la science moderne a mise entre le de Natura rerum de Lucrèce et le Système du monde de Laplace. Les physiologistes contemporains n’ont pas une autre psychologie au fond que les anciens physiologistes ; seulement, si leur explication est la même, leur science des rapports du physique et du moral ne souffre aucune comparaison avec celle de l’antiquité. Comment en serait-il différemment dans un ordre de méthodes et d’idées qui ne dépasse pas l’expérience sensible ?

Qu’on ouvre au savant le monde des vérités de la conscience, voici qu’une lumière nouvelle se répand tout à coup sûr le champ de ses recherches. Avec le sentiment des choses du dedans, il acquiert les véritables notions de force, de cause, de fin. Alors seulement le fond des choses lui est révélé. Il reconnaît qu’en s’arrêtant aux lois et aux conditions des phénomènes il n’en avait vu que la surface ; alors il fait la distinction capitale des conditions et des causes, des forces aveugles et des raisons, du comment et du pourquoi des choses. Le physiologiste comprend enfin la raison des faits qui lui avaient été déjà révélés par sa propre science, mais qui étaient restés pour lui à l’état de mystère ; l’organisation des êtres vivans devient non une simple composition, mais une véritable création, la création d’une cause finale, qui est l’être vivant lui-même. Le chimiste et le physicien comprennent que ces atomes eux-mêmes qui se combinent sous l’action de lois chimiques et mécaniques pour former les corps ne se meuvent ainsi qu’en vertu d’une