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« La neige, la glace et les tempêtes, à qui obéissaient-elles, reprend fièrement le cardinal, sinon, comme dit encore l’Écriture, à la voix du Seigneur[1] ? » Si nous avons relaté ce passage des mémoires du cardinal Pacca, c’est qu’il constate la véritable disposition d’esprit où se trouvait alors un membre du sacré-collège qui va jouer derechef un rôle des plus actifs dans les scènes qui nous restent à raconter ; c’est aussi parce qu’il jette un certain jour sur les dispositions du clergé en général. Entre les sentimens du cardinal italien et ceux des ecclésiastiques français, il y avait toutefois une profonde différence. Au lieu de le proclamer avec joie, ces derniers n’acceptaient qu’avec tristesse ce jugement de Dieu qui les prenait à l’imprévue Après avoir considéré comme autant de marques de la faveur céleste les prospérités inouïes de l’empire, ils étaient conduits par la même habitude d’esprit à reconnaître les signes de la réprobation divine dans l’éclatant échec qui venait d’interrompre tout à coup une si longue suite de victoires ; mais ce tardif enseignement qu’à regret ils tiraient pour eux-mêmes des faits en voie de s’accomplir, il eût été malaisé et surtout imprudent aux orateurs sacrés d’en faire part à la masse des fidèles. Aucun d’eux ne l’essaya. Les chaires de nos églises, qui naguère avaient tant de fois retenti des épanchemens d’une admiration enthousiaste, n’entendirent point les mêmes prédicateurs hasarder sur les malheurs du moment un dangereux commentaire. Si plusieurs épanchèrent leurs tristes pressentimens, ce fut à huis clos, au fond des sacristies et dans l’ombre des oratoires privés, plus capables de garder de si compromettans secrets. Comme il arrive d’habitude, les manifestations de dévoûment en faveur du pouvoir heureux avaient été publiques, solennelles et bruyantes ; les signes de détachement envers ce même pouvoir désormais menacé furent réservés, timides et silencieux. Rien n’en transpira au dehors. Justement parce qu’à l’époque où elle se produisit la transformation des sentimens du clergé à l’égard de Napoléon fut si peu apparente, et qu’elle ne s’est clairement manifestée qu’après sa chute, il importait de la rapporter à sa vraie date, c’est-à-dire à l’heure même des premiers revers. Ajoutons que, toujours habile à discerner la vérité quand il avait intérêt à la connaître, l’empereur ne se fit à cet égard aucune illusion. Il considéra désormais les membres de son clergé comme passés, depuis que la fortune l’avait trahi, dans le camp de ses plus dangereux adversaires.

Tandis que le chef de l’empire se rendait un compte si exact des changemens survenus dans les sentimens des autres, quelles dis-

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 225-226.