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raisons que nous avons exposées, avait pris tout à coup le singulier parti de ne faire usage ni du bref du pape ni de ses bulles. La position de plusieurs de ces évêques était très embarrassante ; telle était, par exemple, celle de M. d’Osmond, ancien évêque de Nancy, récemment nommé à Florence. Ses adversaires faisaient clandestinement courir dans son diocèse italien de nombreuses copies du bref réprobatif jadis adressé à son sujet par le saint-père à l’archidiacre Corboli, et d’un autre côté l’empereur ne voulait point l’autoriser à produire les bulles pontificales d’une date plus récente qui l’auraient mis régulièrement en possession de son nouveau siège. M. Jauffret, ancien évêque de Metz, nommé naguère à l’archevêché d’Aix, n’avait été pour son compte l’objet d’aucune admonition du saint-père ; mais, chef incontesté d’un diocèse où il était justement considéré, il lui répugnait extrêmement d’aller prendre la direction d’un troupeau qui peut-être hésiterait à reconnaître la légitimité de ses pouvoirs. Il n’était parti pour Aix qu’après avoir reçu la promesse qu’on lui expédierait ses bulles en route ; elles ne lui parvinrent jamais[1]. Quelques-uns des nouveaux prélats étaient de simples prêtres élevés par l’empereur à la dignité épiscopale. Munis d’un titre officiel parfaitement valable aux yeux de l’administration civile, ils ne pouvaient avant leur consécration ni porter les insignes ni exercer les fonctions canoniques de leur charge. Qu’on juge de la confusion où de pareilles anomalies devaient jeter une notable partie des diocèses de France ! Pour parer à tant d’embarras, l’empereur avait, il est vrai, employé un biais déjà mis en pratique pendant les derniers temps du roi Henri III, durant une partie du règne de Henri IV, et plus récemment par Louis XIV, lors de ses démêlés avec la cour de Rome. M. Bigot de Préameneu s’était entendu avec la plupart des chapitres, afin qu’ils eussent à choisir pour administrateur capitulaire du siège vacant l’évêque désigné par l’empereur. Semblable mesure avait passé autrefois presque inaperçue, « et l’on ne voit pas, dit M. Picot, que sous Louis XIV surtout elle eût troublé l’église, ni inquiété les consciences ; mais les circonstances étaient bien différentes. Les vues de Napoléon contre l’église n’étaient pas équivoques, et il était clair qu’il n’avait pris ce moyen que pour se passer, au moins pendant quelque temps, des bulles pontificales[2]. » Les anciennes traditions de l’église gallicane, dont l’empereur avait toujours le nom à la bouche, autorisaient-elles en effet le procédé auquel il venait

  1. Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France, t. II, p. 394 et 485, par M. Jauffret, frère de l’archevêque d’Aix.
  2. Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, de M. Picot, t. III, p. 549.