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considérée comme austro-allemande, une Bohême illégalement germanisée, serait réclamée par l’unité germanique triomphante; la Bohême véritable, remise comme la Hongrie en possession de ses droits, échapperait comme la Hongrie à toutes les convoitises prussiennes. Préparer le rétablissement du royaume de Bohême, c’est donc travailler à la fois contre la Russie et contre la Prusse. L’intérêt de la France est ici parfaitement d’accord avec l’intérêt de l’Autriche.

Qu’on jette les yeux sur une carte d’Autriche, qu’on interroge surtout l’une des cartes ethnographiques dressées dans ces derniers temps par des géographes et des statisticiens justement renommés[1]; on verra que cette question est une des plus graves au point de vue politique comme au point de vue militaire. Si jamais la Prusse et ses confédérés franchissaient le Mein, on peut être assuré qu’ils commenceraient par convoiter la Bohême. C’est là, au sommet des Carpathes, qu’est la ligne du partage des eaux. Il n’est pas en Allemagne de position plus avantageuse aux mains d’une puissance capable de s’en servir. On dirait un immense quadrilatère qui s’avance du côté de l’ouest jusqu’au centre des pays germaniques. La frontière occidentale de la Bohême est à quelques lieues de Nuremberg, entre Dresde au nord et Munich au sud. Sur un espace assez considérable, ce prolongement slave sépare les deux Allemagnes. Pourquoi l’équilibre européen, d’accord ici avec la géographie et l’histoire, ne profiterait-il pas de ce bénéfice? Les Tchèques veulent être Autrichiens en conservant leur autonomie ; ne permettons pas à une fausse manœuvre politique de les exposer un jour à être Prussiens malgré eux. Nous savons bien que ce jour-là les Bohèmes appelleraient les Russes à leur aide plutôt que d’être noyés dans l’unité allemande; mais le remède serait aussi funeste que le mal, puisque les violences du pangermanisme fourniraient un prétexte aux entreprises du panslavisme. C’est ce double mal que les esprits clairvoyans s’efforcent de conjurer en signalant tous les dangers du dualisme austro-hongrois. L’intérêt, le devoir de la France est de joindre sa voix à celle des publicistes autrichiens et magyars dont nous avons recueilli les suffrages.

On dit que ces idées fédératives, suivant le sens précis indiqué par nous tout à l’heure, commencent à pénétrer dans les hautes sphères de l’état. On dit que M. de Beust s’inquiète d’une situation

  1. La plus récente est celle de M. Kiepert : Völker-und Sprachen-Karte von OEsterreich und den Unter-Donau-Ländern, zusammengestellt von H. Kiepert, Berlin 1869. — La plus riche peut-être en renseignemens ethnographiques est celle qui a été publiée à Vienne en 1860 par M. le baron de Czoernig, chef de bureau de la statistique au ministère de l’intérieur.