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Chaque peuple sans doute a ses bouffées d’orgueil, et nous connaissons trop bien la vanité française pour ne pas excuser chez nos voisins des sentimens analogues; la foi en soi-même est une marque de vitalité après tout, et il est permis à un grand peuple de ne pas être trop modeste. La foi de la France était du moins une foi généreuse, et si elle était fière de ses conquêtes dans l’ordre politique et social, c’était par l’espérance d’en faire profiter le genre humain. Un libéral esprit de propagande s’associait toujours au sentiment de sa gloire.

La révolution, cette œuvre si française, n’était pas une œuvre égoïste; la France avait travaillé pour le monde. Que l’orgueil allemand, l’orgueil prussien surtout, depuis un demi-siècle est différent de cet enthousiasme! Ne parlons pas ici de confiance en soi-même, il s’agit de tout autre chose, d’un sentiment moins noble et plus étroit. Certes il y a en Allemagne nombre d’hommes distingués qui sont à l’abri de ces reproches; nous sommes assuré pourtant qu’ils ne sauraient nous contredire, puisqu’ils ont eux-mêmes si souvent combattu les procédés que nous signalons. N’est-il pas vrai qu’après la guerre du Slesvig les publicistes prussiens répétaient sur tous les tons : « Vaincus de Düppel, c’est la moralité allemande qui a brisé vos armes dans vos mains ; nous valons mieux que vous, voilà pourquoi vous périssez. Votre corruption vous condamne à mort ? » N’est-il pas vrai que, dans toutes les luttes des Allemands de la Prusse avec les Polonais du duché de Posen, ces mêmes écrivains ne cessaient de prodiguer l’outrage aux victimes ? N’est-il pas vrai qu’ils aggravaient encore l’iniquité germanique par la plus insolente des justifications? N’était-ce pas toujours la même injure? « Vous êtes des oisifs et des pervertis, subissez donc votre sort. L’honnêteté allemande ne cessera point d’avoir le dessus. » Voilà comment le meurtre de la Pologne est devenu chez les disciples de Kant et de Hegel un éclatant exemple du triomphe de la morale ! Eh bien ! c’est le même esprit d’infatuation qui va fournir aux publicistes viennois leurs derniers argumens contre les Tchèques de Bohême.

Cette argumentation, si blessante par elle-même, est plus irritante encore sous la plume des Allemands de l’Autriche. Qu’un écrivain de l’Allemagne du nord, avec sa rigidité kantienne et son enthousiasme hégélien, soit convaincu que la moralité germanique justifie la domination de la Prusse sur les Slaves du duché de Posen, on peut admettre sa sincérité en bafouant ses prétentions; à Vienne, les écrivains qui ont recours à ces théories n’ont véritablement pas d’excuse. Aussi M. Palaçky a-t-il grande raison de leur répondre : « Il y a toujours dans la nation allemande, dans cette