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tement à ce conflit. Comment se défendre d’une vive émotion en face de pareils intérêts? Ces questions, qui semblent aujourd’hui si éloignées de nous, peuvent nous atteindre demain par des contre-coups effroyables. Nos renseignemens nous arrivent de Prague, de Vienne, de Pesth, de tous les endroits où s’agite la crise, une crise de vie ou de mort pour la monarchie autrichienne. S’il n’y avait ici qu’une bataille dont nous pourrions être les spectateurs désintéressés, notre curiosité serait déjà excitée au plus haut point. Cette quiétude ne nous est pas permise, et nous avons le droit de dire à nos lecteurs : attention ! il s’agit de nous-mêmes.


I.

Ce n’est pas la bataille de Sadowa, comme on le croit généralement, qui a fait naître la conception d’une Autriche partagée en deux; l’idée de ce dualisme, pour employer l’expression consacrée, l’idée de cette monarchie austro-hongroise, puisque tel est en ce moment le nom officiel de l’empire des Habsbourg, avait été discutée avec véhémence par les intéressés plus d’une année avant la catastrophe qui a obligé la vieille Autriche à se renouveler de fond en comble. Au mois de mai 1865, une polémique très vive mettait aux prises les principaux publicistes slaves, magyars, allemands, de la monarchie autrichienne. A Prague, à Pesth, à Vienne, les chefs de l’opinion agitaient ouvertement ces problèmes : quel va être le sort de l’Autriche, quelle devra être sa constitution dans un avenir prochain? en d’autres termes, l’état actuel ne peut se maintenir, l’Autriche s’écroule, comment se relèvera-t-elle? C’était même là, pour le dire en passant, un avertissement assez clair à tous les politiques de l’Europe, et l’on est surpris que tant de personnes en mesure d’être bien informées aient pu compter en 1806 sur la victoire d’une puissance si sérieusement malade. Or, dans cette controverse où la vie et la mort de l’ancienne Autriche, sa condamnation inévitable et sa transformation nécessaire étaient si ardemment débattues, l’homme qui représentait la politique libérale, la politique à laquelle se rattachent en ce moment les meilleurs esprits et les juges les plus compétens de l’Europe, c’était le représentant des Tchèques, c’était l’historien national de la Bohême, M. Franz Palaçky. M. Palaçky, deux années après, a eu un tort grave aux yeux de notre Occident, il a eu le tort d’accepter l’invitation des Russes et d’aller siéger au congrès slave de Moscou. Ce fut une faute; cette démarche fâcheuse a fait considérer les Tchèques comme des agens du panslavisme moscovite, elle a refroidi à leur égard les sympathies de la presse libérale en Europe; ce n’est pas une raison