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temps et de son revenu la somme qu’il faudrait pour faire le nécessaire, surtout dans les campagnes, où il est à peu près inconnu. Il accepte par devoir, ne fait qu’une faible partie des sacrifices indispensables, et il échoue. Telle a été la cause la plus ordinaire des mécomptes et des défaites du parti libéral et démocratique.

Le suffrage universel est beaucoup plus aristocratique qu’il n’en a l’air. Sauf des conditions très exceptionnelles de popularité, il n’a de faveurs que pour la réputation et la richesse. La publicité la plus indispensable conduit assez loin. L’impression des professions de foi et des bulletins, l’affichage, les distributions d’imprimés, les correspondances, les locations de salles pour réunions, les voyages, les tournées et les stations dans des collèges qui comptent d’ordinaire de 150 à 200 communes, des menus frais incessans et imprévus, entraînent un minimum de dépenses de 10,000 à 12,000 fr. Je néglige ici l’évaluation du temps perdu et des affaires sacrifiées. Si on multiplie les moyens de réclames, si on fonde un journal, si on organise des réceptions, si on essaie de se créer une clientèle par des présens ou des services rendus, enfin si la libéralité devient corruption, il n’y a plus de limites pour la dépense. Il faut considérer que le coût de chaque élection se multiplie par le nombre des prétendans, et que pour 292 sièges il y a 600 ou 800 candidats obligés à des sacrifices. Nos mœurs électorales tournent à l’anglaise. Il y a deux ans, le parlement britannique fit faire un relevé des sommes dépensées à la dernière élection par les divers compétiteurs ; il s’agissait seulement des dépenses permises, telles que la construction des baraques et des tribunes, la location de salles, les correspondances et la publicité. On tirait le voile sur l’achat des votes et les manœuvres corruptrices dont on ne s’abstient guère : les seules dépenses autorisées ont été évaluées à 20 millions de francs[1]. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous y marchons. Il y a déjà des candidatures dont les frais atteignent 100,000 francs. On cite même certaines élections préparées de longue date et accomplies dans des circonstances si fantastiques que les calculateurs du pays ont évalué la dépense à 1 million. C’est peut-être exagéré ; supposez la moitié, et ce sera beaucoup trop encore.

  1. Voici le décompte :
    Comtés Villes et bourgs Totaux
    Angleterrre 7,791,650 808,100 1,140,025
    Écosse 7,889,850 135,775 625,250
    Irlande 15,681,500 943,875 1,765,275
    9,739,775 8,650,875 18,390,650


    À ce total de 18,390,650 francs s’ajoutent les dépenses de 31 sièges électoraux qui n’ont pas fourni leurs bordereaux.