Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

observait autour de lui les peuples qui prospèrent par la liberté, et il voulait à leur exemple ressaisir le maniement de ses propres affaires. Il faut le dire, la politique qui se déroulait sous ses yeux pendant les six ans de la législature mettait en relief les inconvéniens et les périls d’une tutelle trop prolongée. A l’extérieur, le prestige s’était évanoui, et l’on était entré dans une veine fatale. On voyait la désastreuse expédition du Mexique condamnée par tout le monde, même par les amis du gouvernement, et néanmoins poussée à bout sous une pression irrésistible. Les bénéfices de la guerre d’Italie étaient compromis par l’occupation prolongée de Rome. Le prétendu remaniement de l’Europe, annoncé magistralement, allait aboutir à l’agglomération de toutes les forces allemandes au profit de l’absolutisme prussien. A l’intérieur, la fantaisie du royaume arabe avait paralysé l’Algérie. Les travaux de Paris bouleversaient l’économie de la vie parisienne. La série incessante des emprunts avoués ou des expédiens qui ne sont que des emprunts déguisés répandait l’appréhension d’une crise financière jusque dans les classes où l’on ne juge des choses que par instinct.

Sur tout cela pesait un malaise mal défini, mais fortement senti, une sorte de brouillard moral tenant à l’essence même du régime. Dans un milieu en effet où places, travaux, récompense et répression, tolérance et empêchement, où le faire et le non-faire, pour tout dire en deux mots, aboutissent au gouvernement, il s’opère dans la population, quand ce gouvernement est lui-même dominé par le besoin de se créer une clientèle, un triage des intelligences et des caractères. Les uns, à qui il ne répugne pas de solliciter le pouvoir, s’arrangent pour lui complaire en toutes choses, afin de toujours obtenir ; les autres se réfugient dans les professions où l’on trouve à vivre sans rien demander. Alors les indépendans marchent isolés dans des carrières étroites ; l’occasion de s’y développer leur est rarement offerte. Les complaisans ne tirent qu’un médiocre parti de leurs aptitudes, parce qu’il leur manque le libre essor de l’esprit et la sincérité. Il y a des deux côtés une sorte de paralysie intellectuelle. Le noble épanouissement des facultés, naturel dans les pays libres, est chez nous comprimé ; de là viennent la discordance des idées, l’atonie des caractères et cette pénurie d’hommes qui sera le plus grand obstacle aux réformes urgentes.

Cet état de choses devenait de plus en plus apparent pendant la dernière législature ; il a préoccupé le gouvernement, les assemblées et le pays. Par le sénatus-consulte du 14 juillet 1866, et aux termes de la fameuse lettre du 19 janvier, on daigne rendre plus facile au corps législatif l’exercice du droit d’amendement. La discussion d’une adresse qui ouvrait un cadre illimité à la controverse est remplacée par le droit d’interpellation, à la condition que la