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départemens riches, où les contribuables au-delà de 200 francs étaient nombreux. Le second arrondissement de Paris, qui comprenait 2,000 électeurs, ne nommait qu’un député, de même que certains collèges du midi où l’on réunissait à grand’ peine 150 censitaires. Il est évident, à un autre point de vue, que la limitation du cens à 200 francs d’impôt direct livrait la majorité à la classe intermédiaire des petits propriétaires, des patentés, des officiers ministériels, et qu’elle assurait la prépondérance aux intérêts bourgeois.

Un pareil résultat, contre lequel le bon sens et l’équité protesteraient aujourd’hui, n’offusquait personne à cette époque. La bourgeoisie libérale venait de fournir une lutte de quinze ans au nom des principes de 1789 ; il semblait naturel et légitime qu’elle conservât après le triomphe la direction du mouvement, d’autant mieux que son avènement ne contrariait en rien les théories du progrès accréditées parmi les principaux hommes d’état. Casimir Perier mettait son orgueil à constituer un torysme bourgeois. L’idéal de M. Guizot, il l’a dit lui-même à la tribune, était « l’organisation définitive et régulière de cette grande victoire que les classes moyennes ont remportée sur le privilège et le pouvoir absolu de 1789 à 1830. » On va voir bientôt la société française se modeler pour ainsi dire sous la pression du mécanisme électoral et prendre une allure politique faussée par le jeu du scrutin. Entre la bourgeoisie industrielle qui fait la loi et un gouvernement jaloux de ses prérogatives, un accord instinctif s’établit. Dans l’ordre économique, les intérêts bourgeois se meuvent sans contre-poids par un subtil agencement de monopoles commerciaux, de taxes prohibitives, par l’accaparement des fonctions et des affaires ; ils tendent à constituer une sorte de caste exclusive et privilégiée. Dans l’ordre politique, une majorité sans vigilance, parce qu’elle est complaisante, est assurée à un pouvoir qui laisse trop croire qu’il veut régner et gouverner. La prépondérance souvent abusive des classes moyennes, le malaise trop réel, une sorte d’étouffement en dehors du pays légal, ouvraient carrière à la propagande socialiste ; une politique timorée et engourdie, sans la moindre intuition des changemens sociaux que notre siècle prépare, justifiait les impatiences et les attaques du libéralisme novateur, deux causes d’affaiblissement, deux présages de chute.

Il est facile de signaler les fautes politiques après coup et quand les résultats sont connus. Pour être juste envers le gouvernement de juillet, je dois ajouter que, s’il ne donnait pas la réforme électorale, c’est que le pays ne la lui demandait pas de manière à faire croire qu’il la désirait beaucoup. Le gouvernement pouvait très bien se faire illusion sur l’opportunité d’un changement. J’ai en main