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considérable. Il ne dissimulait pas son ambition, qui n’était rien moins que la régénération de la peinture. Son école était pleine d’une indicible ardeur. Cornélius, qui devait gouverner plus tard l’académie de Dusseldorf, puis celle de Berlin, Schadow, de Kock, Vogel, Jean et Philippe de Vert, plus tard Schnorr, enfant de Leipzig, qui avait d’abord étudié à Vienne, même le Danois Thorvaldsen, firent partie de cette pléiade d’artistes du nord. On se réunissait chez l’ambassadeur de Prusse à Rome ; sa maison était le centre où se rencontrèrent toutes ces jeunes intelligences. On se rassemblait aussi chez le chevalier de Bunsen. Malgré l’unité des tendances, on se divisait volontiers en deux camps, celui de l’art purement chrétien, celui des croyances païennes, d’une sorte de vague polythéisme gréco-romain auquel s’ajoutaient par surcroît le culte des divinités du nord et la pieuse mémoire des antiques légendes du pays natal. Il s’en fallait de peu que dans ce panthéon bizarre on n’adorât Brahma, Jupiter et Jésus. Du moins Jupiter n’était pas oublié avec les vieux dieux qui « menèrent autrefois si joyeusement le monde. » Les Allemands en rêvaient encore. Ils ne peuvent s’empêcher de rêver, même à Rome. Un jour, chez le chevalier de Bunsen, on porta la santé du roi de l’Olympe. La planète de Jupiter étincelait dans le ciel au milieu de la nuit. Il semblait qu’il conduisît encore au-dessus de la ville de saint Pierre la ronde éternelle des astres. Quelques-uns des Allemands trouvèrent le toast singulier ; mais ils s’y associèrent, et burent au père des dieux et des hommes. Thorvaldsen but de tout cœur.

Ces enthousiasmes sincères pour les choses du passé et pour un avenir prochain avaient leur raison d’être ; la venue d’Overbeck en Italie pour le dessein qu’il se proposait n’était pas sans précédens. Winckelmann avait à moitié tracé la route en préconisant les œuvres de l’antiquité et se faisant lui-même catholique. Raphaël Mengs, né en Bohême, élevé à Dresde, était venu s’établir à Rome. Asmus Cartens, de Slesvig, était allé à Rome à grand’peine, vu son indigence, y avait étudié et conquis le talent, était revenu à l’académie de Berlin pour retourner encore à Rome. C’était le précurseur d’Overbeck. Celui-ci fut le véritable fondateur de la colonie allemande, parce qu’en dehors du mérite de ses œuvres il avait quelque chose de l’apôtre. Tandis que David à Paris étalait une anatomie savante, et, tout en l’interprétant d’une façon un peu théâtrale, ne dédaignait pas la nature, Overbeck et les « nouveaux Nazaréens » se plongeaient dans leur mysticisme et rejetaient autant que possible l’usage du modèle vivant. Travailleurs obstinés et solitaires, objet de quelques moqueries, ils restèrent longtemps inaperçus dans la ville des ruines, ne se plaignant pas de l’obscurité, assidus à l’étude, honorant leur ambition par de consciencieux efforts. Après 1815, leurs