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mais un frère du roi, Alexandre, accouru en toute hâte de Cracovie, les défit dans un combat sanglant ! sur la Wechra, et Jagello put enfin songer à retourner dans le pays de Gédimin, qu’il avait quitté depuis un an. Il y revenait en chrétien et en apôtre de l’Évangile…

Au mois d’octobre 1386 sortait de Cracovie une longue et étrange procession. Le roi Ladislas II était à la tête du cortège, puis venaient ses frères et parens, ensuite les ducs de Mazovie et d’Olesniça, les princes de Sévérie, de Pinsk et d’Ostrog, ainsi que nombre de grands dignitaires de la couronne ; et de palatins du royaume. Plus loin, on distinguait une masse compacte de moines de l’ordre de Saint-François sous la conduite de l’archevêque Bodzanta et des évêques de Cracovie et de Posen ; ces franciscains dévoués, qui avaient tant de fois arrosé de leur sang de martyrs les contrées au-delà du Niémen, s’y dirigeaient maintenant pleins de sécurité et de joie : ils devaient y distribuer les sacremens, bâtir des églises et évangéliser toute une nation… » Ce fut un moment solennel dans la vie du peuple de Piast, le plus beau moment peut-être de son histoire. Il allait porter la croix et la charité au milieu des forêts vierges et des marais insondables, dans un « pays sans soleil, » le dernier coin de l’Europe où les dieux du paganisme avaient trouvé refuge, il allait à la rencontre de destinées nouvelles, des horizons immenses s’ouvraient à son activité. Cent ans encore après cette grande époque, et au moment où les découvertes des hardis navigateurs portugais et génois étonnaient et éblouissaient le monde, un Polonais, un contemporain de Colomb, devait s’écrier : « Les rois du Portugal ouvrent à la chrétienté les portes fermées du couchant ; nos Jagellons nous conduisent, nous, vers des pays et des peuples toujours nouveaux dans les régions du nord et du levant[1]… »

Le cortège passa bientôt le Niémen, et traversa tous ; les pays de Gédimin en s’avançant sur Wilno, la capitale des grands-ducs, le sanctuaire de Znicz et de Perkunos. Partout sur son trajet il chantait des hymnes sacrés, engageait les gentils à reconnaître le rédempteur, et recrutait des prosélytes. Les habitans de la numa, convoqués par les cywuny (les starostes), se précipitaient en masse devant leur kniaz, et recueillaient de sa bouche des discours étranges, le discours immortel d’un Dieu, le discours de la montagne…. Jagello tenait à enseigner lui-même son peuple, à lui démontrer l’inanité de ses idoles, à le pénétrer des préceptes du Verbe, et le peuple écoutait, d’abord stupéfait, puis ému ; il cédait aux prières, aux supplications, aux injonctions de son prince, il faisait le signe de la croix et répétait les paroles du Credo. Pour la première fois dans cet extrême Occident si cruellement évangélisé jusque-là

  1. Miechowita, De Sarmat., apud Pistor. Script., I, 22.