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ignorer sa responsabilité, les assassins sortant chaque année des sociétés secrètes l’en avertissaient par leurs attentats ; mais ce goût d’avoir sa part au gouvernement de son pays, ce goût qu’il tenait de sa nature et des épreuves de sa vie, il le renfermait soigneusement dans le cercle de la charte de 1830, purgée des ambiguïtés de l’article 14. Jamais roi n’a été plus fidèle que lui à la procédure constitutionnelle. Aussi, quand il est tombé, la procédure constitutionnelle est tombée avec lui.

Les détails que M. Guizot donne, soit dans ses Mémoires soit dans la nouvelle préface de ses Mélanges, sur la part d’influence que le roi Louis-Philippe voulait avoir dans son gouvernement, sans vouloir jamais changer cette influence en dictature ou en droit au gouvernement personnel, ces détails sont très curieux et même très piquans. « Le roi Louis-Philippe, dit-il dans sa nouvelle préface, a quelquefois fourni lui-même de spécieux prétextes à cette idée, qu’il voulait trop dominer et qu’il dominait trop en effet dans son gouvernement. La patience et le silence sont souvent d’utiles et convenables habiletés royales. Le roi Louis-Philippe n’en faisait pas assez d’usage. Il avait sur toutes choses une surabondance d’idées, d’impressions, de velléités qu’il ne prenait pas assez soin de contenir et pour ainsi dire de tamiser assez sévèrement, il se baissait trop aller à manifester soudainement, impatiemment, son avis et son désir, et aussi à manifester trop d’avis et de désirs dans de petites affaires qui ne méritaient pas son intervention. Il était de plus si profondément convaincu de la sagesse de la politique pacifique, conservatrice et libérale qu’il pratiquait de concert avec les chambres, il croyait le succès de cette politique si important pour le bien du pays, qu’il lui en coûtait un peu d’en voir attribuer à d’autres le mérite, et qu’il ne pouvait se résoudre à n’en pas réclamer hautement sa part. Ce désir et l’intarissable fécondité, la vivacité, et je me permettrai de dire l’intempérance de sa conversation, lui donnaient des airs d’ingérence continue et de prétention exclusive qui dépassaient quelquefois les convenances constitutionnelles. Je suis convaincu que son gendre, le roi Léopold, infiniment plus réservé dans son attitude et son langage, a exercé dans le gouvernement de la Belgique, au dedans et au dehors, plus d’influence personnelle que le roi Louis-Philippe dans celui de la France ; mais l’un en évitait avec soin l’apparence, que l’autre se montrait trop souvent préoccupé de la crainte que justice ne fût pas rendue à ses desseins et à ses efforts. »

Je ne puis pas me retenir d’interrompre cette citation par une réflexion que n’auront pas manqué de faire toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont vu et ont connu le roi Louis-Philippe. Dans un pays comme la France, où l’on réussit autant et peut-être