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L’Allemagne ancienne que connut Froissart, l’Allemagne féodale et impériale, n’eut point d’autre pensée ni d’autre cri pendant tout le cours du moyen âge ; depuis Henri l’Oiseleur jusqu’à Maximilien, le chasseur infatigable de chamois, les fils de Tuisco ont poursuivi sans relâche le même projet de domination universelle, le même idéal d’un saint-empire auquel ils voulaient soumettre les Welches, les Scandinaves et les Slaves. Dans la péninsule italienne, ce débordement germanique dut souvent se briser, et à la fin se retirer devant les obstacles que lui opposaient les Alpes, la puissance des villes maritimes, le pouvoir hostile des papes et en dernier lieu la rivalité des autres nations. De même le nord Scandinave trouva longtemps son salut dans sa situation géographique, dans l’abord pénible de ses îles, dans sa flotte, — et il n’a été donné qu’à notre époque, à notre diplomatie contemporaine supérieurement habile, de voir enfin s’écrouler devant le canon prussien le rempart séculaire du Danewirk ! Autre a été le sort des pays slaves au-delà de l’Elbe et de l’Oder. Là, sur des plaines immenses, fertiles et très enviables, aucun obstacle ne venait se dresser devant la race « moult convoiteuse ; » elle n’y trouvait ni défenses naturelles m grands travaux d’art ; elle ne s’y heurtait ni contre le pouvoir protecteur des papes ni contre la rivalité des puissances ; elle ne voyait devant elle que des peuples laborieux, paisibles, braves sans doute, mais indolens et dénués d’esprit politique, — et elle se mit à les fouler, à les broyer sans merci ni trêve. Les contrées situées de l’autre côté de l’Elbe et de l’Oder devinrent ainsi de bonne heure le far-est des farouches compagnons de Henri le Lion et d’Albert l’Ours, et depuis lors les Allemands n’ont cessé de poursuivre la destruction du Slave, « Experts et habiles à prendre leur profit, » ils ne négligèrent aucun moyen pour l’accomplissement de ce qu’ils nomment maintenant une « mission providentielle, » et, selon l’expression énergique de l’un de leurs historiens[1], « il n’est pas jusqu’à leur aune et à leur balance dont ils n’aient su faire un glaive et un instrument d’oppression. » Cette œuvre de destruction, ils l’avaient commencée au nom de la religion chrétienne ; ils la continuèrent plus tard au nom de leur « civilisation supérieure, » à l’heure qu’il est, ils demandent à l’achever au nom de « la liberté moderne » et des Reichsrath centralisateurs…

Vers la fin du XIVe siècle, lors de l’avènement de Jagello au trône de Gédimin, il n’existait plus de trace des anciens et puissans royaumes slaves des Obotrites, des Lutiks et des Moraves, sur l’Elbe et sur l’Oder ; la Bohême des Premislaw était devenue, elle aussi, le fief d’une dynastie allemande, et, dans sa marche irrésistible,

  1. Sartorius, Geschischte des hanseatischen Bundes.