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un même cercle au lieu d’en montrer le développement progressif à travers la série de cercles analogues qu’elle parcourt, c’est que son érudition n’est encore ni assez étendue ni assez exacte.

A notre siècle seul appartiennent les œuvres de véritable science historique. Ici la méthode scientifique est pratiquée avec suite, avec ensemble, appuyée sur une connaissance complète, exacte, approfondie des textes et des monumens. Géographie, ethnographie, philologie et grammaire comparée, épigraphie, archéologie, tous les élémens se sont trouvés sous la main des historiens au service de la méthode nouvelle. L’histoire n’avait guère été précédemment qu’une sorte de psychologie sociale, ayant pour unique objet l’âme des individus et des peuples. Elle est devenue une étude analogue à l’histoire naturelle, une véritable physiologie sociale, où l’influence des causes économiques et physiques se combine avec l’action des causes morales et personnelles pour produire ce résultat concret et complexe qu’on appelle l’histoire d’une nation ou d’une époque. L’homme reste toujours le héros du drame historique ; mais il n’en est plus le seul acteur. La nature y joue aussi son rôle par l’influence extérieure des climats et des situations géographiques, et aussi par le travail interne des causes ethnographiques et économiques, double action qui concourt, avec les causes politiques et morales, à former les instincts, les tempéramens, les mœurs les aptitudes des races et des nations. Le génie des individus, l’âme des peuples, font toujours, celle-ci par ses sentimens collectifs, celui-là par ses œuvres personnelles, le principal intérêt du drame ; les personnages y conservent la conscience et la liberté de leurs actes. Seulement ils ont également la conscience des nécessités qui pèsent sur leur volonté, des idées communes qui dominent leur pensée, des forces générales qui contrarient ou favorisent l’accomplissement de leurs desseins. Tandis que les historiens anciens ne les voyaient et ne les représentaient que dans l’indépendance de leur action politique, ou bien que dans l’originalité de leur œuvre esthétique ou scientifique, les historiens modernes les voient et les représentent sous l’influence et la pression des idées et des choses de leur temps et de leur pays ; ils nous les montrent comme ne faisant qu’exprimer et personnifier les sentimens, les passions, les idées, les intérêts des peuples, des classes, des partis qui les inspirent, les poussent et les soutiennent sur la scène qu’ils occupent. Qu’il s’agisse d’événemens politiques ou d’œuvres d’art et de littérature, l’historien de nos jours ne détache jamais ses personnages du milieu dans lequel ils ont agi ou créé ; il ne manque pas de les étudier dans leurs rapports avec tout ce qui les précède et les entoure dans la manifestation de leurs actes ou la création de leurs œuvres, afin qu’on voie bien que tels