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Péloponèse. Thucydide a introduit le langage d’une prose sévère aussi bien dans ses harangues que dans ses récits. C’est un politique expliquant tous les faits qu’il raconte par la nature des institutions, par le rôle des partis, par le conflit des intérêts et le jeu des passions, par l’éloquence des hommes d’état et la tactique des hommes de guerre. Pourtant ici encore la personnalité humaine, individuelle ou collective, est seule en scène ; elle y paraît avec la gravité que l’impassible génie de l’historien sait communiquer à tout ce qu’il touche, tandis que la naïve sensibilité et la vive imagination d’Hérodote répandent leur charme sur les choses et les hommes dont il parle. Au lieu de volontés individuelles, ce sont des volontés générales qui occupent la scène ; l’historien n’a pas plus qu’Hérodote l’idée de remonter jusqu’aux causes plus profondes, naturelles ou économiques, qui expliquent les causes politiques elles-mêmes des faits racontés. Il est bien vrai qu’il ouvre son récit par une fort belle description géographique et ethnographique du pays qui fait le sujet de son histoire. Cependant, si intéressant et si instructif que soit ce tableau, Thucydide ne songe point dans la suite de son livre à rapprocher des faits et des institutions politiques ces circonstances de race, de position géographique, de constitution économique, qu’il a résumées dans les premières pages.

Xénophon n’est pas un historien aussi profond ni aussi sévère que Thucydide ; il mêle à chaque instant la morale à l’histoire, la leçon au récit, à tel point que Quintilien croit devoir le classer parmi les philosophes plutôt que parmi les historiens. Il se montre en effet partout philosophe dans ses divers traités plus ou moins historiques, en ce sens qu’il fait constamment tourner son récit à l’enseignement moral. Cela n’est pas seulement visible dans cette espèce de roman historique qui se nomme la Cyropédie ; on le reconnaît également dans les Helléniques, dans la Retraite des dix mille, dans les Républiques de Sparte et d’Athènes. Ici plus de récits pour l’imagination et la curiosité, comme chez Hérodote ; plus de tableaux et de harangues ayant pour but l’explication toute politique des événemens, comme chez Thucydide. C’est pour enseigner la vertu à tous, chefs et soldats, citoyens et cités, sujets et princes, que Xénophon écrit l’histoire. En le classant parmi les philosophes, c’est-à-dire parmi les moralistes, Quintilien n’a raison qu’à moitié ; c’est encore un historien dans le sens antique du mot, mais un historien qui a exagéré la méthode de l’antiquité au point de faire de l’histoire un véritable traité de morale.

Les historiens latins n’ont point à cet égard une autre méthode que les Grecs. Sans parler des récits fabuleux sur les origines de Rome, auxquels il n’a manqué, pour en faire un véritable poème à la façon de l’Iliade, que le génie, la langue et les chants de la Grèce