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pas douteux, mais en vertu d’instructions secrètes dans lesquelles il est dit : « N’oubliez pas que vous ne devez arrêter les ivrognes que pour assurer leur propre sécurité et pour éviter les accidens qui pourraient les atteindre dans nos rues encombrées. Aussitôt que leur ivresse sera dissipée, vous les mettrez en liberté, à moins qu’ils n’aient commis quelque délit. » En somme, ils vivent en bons termes avec la population. Ils doivent veiller à la sûreté de la voie publique, ils n’y manquent guère ; combien en a-t-on vus se jeter à la tête des chevaux emportés, poursuivre les chiens enragés, secourir les blessés, contraindre les débitans à ne pas vendre à faux poids et détourner les yeux afin de ne pas apercevoir une marchande des quatre saisons fatiguée qui arrête sa charrette pour prendre un peu de repos ! Leur honnêteté est proverbiale, et tout objet trouvé par eux est remis entre les mains du commissaire de police ; ces traits de probité sont si fréquens qu’on ne les signale même plus dans les ordres du jour. La correspondance secrète sur la fin du règne de Louis XVI, publiée par M. de Lescure, raconte qu’un joueur chargé d’or se mit pour rentrer chez lui sous la protection d’une patrouille qui le dévalisa. Ces temps-là ne sont plus, et l’on peut se confier aux sergens de ville. Parfois cependant, et en dehors des motifs politiques qui surexcitent tous les esprits, on est injuste pour eux. On exige qu’ils soient infaillibles ; c’est là le côté vraiment douloureux de leur situation, ils ne peuvent se tromper. S’il n’arrête pas un coupable, on les accuse de négligence ; si par malheur ils arrêtent un innocent, on crie à l’arbitraire. Lorsqu’on les voit saisir et entraîner un malfaiteur vers le poste, il se produit presque toujours dans la foule témoin du fait un sentiment de réprobation et comme une envie instinctive de délivrer celui que l’on emmène. Cette impression est tellement naturelle au Français qu’il n’est peut-être pas un de nous qui ne l’ait ressentie. Cela se comprend ; notre histoire pèse sur nous, elle nous a pénétrés, imprégnés si profondément que, malgré bien des révolutions, bien des changemens radicaux apportés à nos lois, nous vivons toujours sous l’empire des vieilles traditions. Pendant les temps qui ont précédé la nuit du 4 août, tant d’arrestations illicites ont été faites, tant de lettres de cachet ont été distribuées par le bon plaisir, tant d’enlèvemens monstrueux ont été commis par la force, tant d’honnêtes filles ont été jetées à l’hôpital, tant de braves garçons ont été déportés aux îles, qu’il nous est resté au cœur je ne sais quelle colère chevaleresque qui nous pousse à donner aide aux prisonniers avant même de savoir pourquoi on les arrête. Comme don Quichotte, nous sommes toujours prêts à rompre une lance en faveur de Ginesille de Parapilla : vieille habitude de générosité irréfléchie qui se