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provisoire dont Paul serait le chef, et on convoquerait une skoupchtina, « qui, disait Paul, ferait, comme les autres, tout ce qu’on lui ordonnerait. » Quel que dût être le parti ultérieur auquel on s’arrêterait, les conjurés et ceux des détenus qui les aideraient seraient toujours, en attendant, récompensés parle pillage des maisons des ministres et autres ennemis publics. Le peuple, mécontent comme il l’était du prince et de son cabinet, ne pouvait d’ailleurs manquer d’acclamer les conjurés comme des libérateurs.

Pourtant depuis six semaines tout était prêt et rien ne se faisait. Voyant que chaque jour on laissait passer l’occasion, Paul appela de Chabatz par le télégraphe son frère Kosta, dont la farouche énergie lui inspirait toute confiance. Le 9 juin, il fut convenu que, si le prince venait le lendemain, il ne sortirait pas vivant du bois. Paul devait se tenir avec Lioubomir en face du kotchoutniak, sur la côte opposée. Une fois le prince à terre, les meurtriers agiteraient un mouchoir blanc au-dessus du taillis ; ce serait alors à Paul de faire le reste, de commencer la révolution. Le 10, Paul et son frère étaient à leur poste pendant que derrière ce rideau de feuillage qu’interrogeaient en vain leurs yeux ardens s’accomplissait par les mains de Roguitch, de Maritch, de George et de Kosta Radovanovitch le massacre que nous avons raconté. Paul attendait, fou d’impatience ; ce ne fut guère qu’une demi-heure après l’assassinat, au moment où la nouvelle était apportée à Topchi-déré par les premiers fuyards, que fut hissé le mouchoir. Paul partit aussitôt, mais sans bien savoir si le prince était tué ou seulement blessé ; il ne partit que quelques minutes avant M. Garachanine, qui le dépassa en chemin. Quand il entra dans Belgrade, les ministres étaient déjà prévenus ; ses complices qui, groupés sur la promenade, épiaient son arrivée, le virent passer au galop sans en recevoir un signe ; il alla s’enfermer chez lui, effaré, hagard, répondant par des malédictions à ceux des affiliés qui venaient l’interroger, les renvoyant, cherchant à se cacher.

Le procès s’ouvrit le 26 juin ; une autre série d’accusés fut jugée à la fin de juillet, et un troisième groupe ne parut devant les juges qu’en novembre. La régence avait tout fait pour que la sincérité du verdict ne pût être contestée. Malgré l’état de siège, c’était devant le tribunal de Belgrade qu’avaient été renvoyés les prévenus ; il n’y eut de traduits devant un conseille guerre que les officiers. Le code serbe n’accordait pas aux accusés dans les procès criminels le secours des avocats ; or, cinq jours avant sa mort, le prince avait signé une loi qui assurait à tout prévenu le bénéfice d’une libre défense. La régence se hâta de promulguer cette loi, et chacun des accusés des deux derniers procès eut son défenseur. Les débats furent publics et reproduits par les journaux. Malheureusement la magistrature serbe