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par le gouvernement, on avait arrêté dès le soir même ou le lendemain les principaux coupables. Les premiers pris dénonçaient bien vite leurs complices, et dès le 26 juin un premier groupe d’accusés comparaissait devant le tribunal de Belgrade.

Après la mort du prince Michel, plusieurs journaux avaient prétendu savoir que les meurtriers, en le frappant, avaient voulu venger l’honneur d’une jeune fille, sœur d’un des conjurés. Ce conte, qui fit le tour de l’Europe, n’avait pas trouvé un instant de créance à Belgrade ; dans ce grand village, où le prince ne pouvait faire un pas sans que ses voisins en fussent prévenus, on était au courant de ses habitudes, et l’on savait l’honnêteté de sa vie. L’interrogatoire des accusés ne laissa d’ailleurs subsister aucun doute ; les dénégations embarrassées dont avaient essayé d’abord quelques-uns des coupables ne purent tenir devant les aveux fanfarons de l’un d’entre eux, Lazar Maritch, et tous finirent par faire une confession complète. Voici ce qui résulta des débats. Il s’était formé, pour commettre ce crime, une coalition des pires élémens de la société serbe, cerveaux dérangés par des études mal faites et des ambitions troubles, aventuriers subalternes, gens déclassés et ruinés qui n’avaient plus rien à attendre que d’un bouleversement, bandits prêts à tuer pour quelques ducats ou même gratis, prétendans aigris par l’exil et le regret du pouvoir perdu, trompés par les faux rapports d’agens qui les exploitaient et les méprisaient. Le chef de la conjuration était un certain Paul Badovanovitch, avocat sans causes, qui ne manquait ni d’activité et d’énergie, mais qui n’avait encore pu arriver à rien et qui se trouvait à court d’argent. Tête inquiète, imagination tourmentée, il s’était, assure-t-on, exalté par la lecture des historiens de notre révolution ; il en avait même, pour son usage personnel et celui de ses amis, traduit en langue serbe certains épisodes.

Paul était depuis deux ans l’avocat du prince Kara-Georgevitch ; il était chargé de suivre toutes les affaires auxquelles pouvaient donner lieu les biens assez considérables que la famille déchue possédait encore dans la principauté. Sous ce prétexte, il pouvait, sans trop éveiller l’attention, faire de fréquens voyages en Hongrie, et s’y rencontrer soit avec le prince, soit avec son secrétaire Tripkovitch ; il correspondait en chiffres avec ce dernier, et, — le fait a été prouvé au procès, — il en avait reçu en diverses fois des sommes d’argent et des caisses d’armes. C’est Paul qui était l’âme du complot ; il y avait fait entrer ses trois frères, Kosta, George et Lioubomir, et des mécontens recrutés un peu partout. Les conspirateurs se divisaient en trois groupes : il y avait des officiers, des bourgeois et des forçats. Ceux-ci devaient concourir au meurtre, puis soulever leurs camarades, les jeter sur Belgrade et y répandre