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causer au voyageur, on cesse de les trouver puériles quand on a passé quelques semaines à Belgrade, que l’on y a étudié les événemens de l’an passé dans la conversation de ceux qui en ont été les témoins ou les acteurs, dans les débats du procès intenté aux meurtriers du prince Michel Obrenovitch. Sans doute il était désagréable, dans la saison d’été, pour les rares habitans de Belgrade qui ne se couchent pas avec le soleil, de ne pouvoir, le soir venu, s’attarder chez un ami sans risquer d’être arrêtés par une patrouille et conduits au poste ; ce n’était pourtant pas pour le plaisir de vexer les honnêtes gens et de jouer au soldat que les dépositaires du pouvoir, après la mort du prince, avaient cru devoir mettre partout sur pied la milice nationale, et demander au moins leur nom à ceux qui prétendaient entrer en Serbie. La situation avait été plus grave qu’on ne le croyait en Occident. À la première nouvelle de l’attentat, les gens qui prétendent tout savoir affirmèrent chez nous qu’il y avait derrière les meurtriers tout un parti, qui avait voulu punir le prince Michel de ne pas s’être décidé à prendre l’initiative d’une coalition et d’une attaque immédiate contre la Turquie. De Belgrade allait partir, disait-on, un cri de guerre qui retentirait dans tout l’Orient ; les imaginations hardies voyaient déjà les Slaves insurgés de l’Adriatique à la Mer-Noire. Quelques jours plus tard, on était rassuré : on avait appris l’avènement du jeune Milan Obrenovitch presque en même temps que la mort de son cousin, et on était trompé par l’apparente facilité avec laquelle s’était opérée cette transmission du pouvoir ; il semblait que la mort du prince Michel fût un incident sans gravité réelle, qui n’avait jamais fait courir de dangers sérieux au repos de l’Europe. On cessa bien vite en France de regarder du côté de la Serbie ; à peine prêta-t-on l’oreille au lointain écho de cette fusillade vengeresse qui, au milieu des cris d’exécration de la foule, frappait à la fois quatorze des conjurés, et compromettait les prétendans exilés, les Kara-Georgevitch.

Nous voudrions montrer quel était l’état réel de la principauté au moment où Paul Radovanovitch et ses associés conçurent l’idée de donner par un meurtre le signal d’une révolution. Tout hardis et violens que fussent les chefs du complot, ils n’auraient certes point tenté cette aventure, s’il n’y avait eu dans le pays un sourd mécontentement sur lequel ils comptaient pour faire acclamer un nouveau régime. Après avoir retracé les détails de la catastrophe, nous dirons de quels périls a triomphé l’énergie des hommes qui dans cette crise ont pris la conduite des affaires, Maintenu l’ordre et ainsi préservé la Serbie de luttes et de déchiremens où se seraient usées ses forces et éclipsé son prestige.