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monde l’imitait, tout le monde et lui-même mourraient de faim en méditant « sur les perfections du yoga. »

Ce sont là des déviations d’orthodoxie dont toutes les religions fournissent des exemples, et dont la folie humaine peut seule être responsable ; mais comme la réalité, à laquelle on prétend échapper par cette méthode, pèse sur chacun de nous et nous tire bon gré mal gré en sens contraire de la religion, qui est tout idéale, celle-ci, quand elle a passé à l’état d’orthodoxie, a toujours été conduite à contracter avec la réalité des alliances avantageuses. De là le fait que j’ai signalé dans une étude précédente, le caractère politique qu’ont pris tour à tour la plupart des religions. Dès l’époque du Vêda, sans parler de l’Égypte, dont les documens sont antérieurs à ceux de l’Inde et de la Perse, l’alliance du sacerdoce et de la royauté s’accomplissait dans l’Inde ; cependant la séparation des castes est un fait postérieur à la période des hymnes ou qui en marque tout au plus les derniers temps : fait bien digne de remarque, car il prouve que l’institution politique du brahmanisme s’est fondée au même moment que son orthodoxie religieuse. Celle-ci devint, dans les lois de Manou que nous possédons, le plus ferme appui du système social et politique, et ce système à son tour assura une durée pour ainsi dire illimitée à l’orthodoxie indienne. D’après les documens hiéroglyphiques, les croyances de l’Égypte ne semblent pas avoir été fixées et systématisées avant la fin de la ive dynastie ; elles durèrent jusqu’à la conquête de ce pays par Cambyse, et à partir de ce temps elles tombèrent dans une décadence rapide. Nous savons qu’en vertu de sa constitution cérébrale le peuple égyptien était peu apte à s’élever dans l’ordre des idées au-delà du terme qu’il avait de bonne heure atteint et où il s’était arrêté. La longue durée de son orthodoxie, qui comprend peut-être quarante siècles, doit être attribuée au système politique auquel elle s’était inféodée. Le brahmanisme, quoique chez une race progressive et par conséquent plus mobile, était fondé au moins douze ou quinze siècles avant Jésus-Christ, et il est encore plein de vie ; il est sous nos yeux, c’est comme une antique et puissante machine d’un mécanisme très régulier au fonctionnement de laquelle nous assistons. Or à quoi s’attaquent les propagateurs de la civilisation d’Occident pour préparer dans l’Inde l’acceptation des idées chrétiennes ? Au système des castes, c’est-à-dire à une institution politique. A quoi le bouddhisme a-t-il dû les rapides succès qu’il a remportés dans ses premiers siècles ? Aux coups dont il frappait cette même institution. C’est donc elle dont l’alliance a maintenu l’orthodoxie religieuse, et c’est contre cette alliance que les forces intérieures comme celles du dehors sont venues jusqu’à présent se briser.