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évidentes de la nouvelle manière. Le fond des idées n’a pas changé, même philosophie, même naturalisme mystique. La personnalité, il est vrai, est absente, à moins qu’elle ne perce dans quelques figures de barons justiciers, de chevaliers errans des « petites épopées. » Point de haine ni de colère, si ce n’est contre des rois, des empereurs, des seigneurs et des cardinaux qui n’en peuvent mais, la plupart d’invention et d’époques très, reculées. La réalité n’y gagne pas : le moyen de se passionner pour ou contre un roi Ratbert, un sultan Zim-Zizimi, un baron Madruce ? Ces épopées détachées pouvaient être une heureuse tentative et ouvrir au poète une veine nouvelle ; celle d’Aymerillot, par exemple, en fournit la preuve. Le résultat obtenu par M. Victor Hugo, s’il n’a pas tourné entièrement à son bénéfice, ne conclut pas contre l’essai qu’il a voulu faire. Il fallait bien raconter, c’est-à-dire ne pas s’arrêter en chemin, ne pas décrire, ne pas énumérer, ne pas disserter. L’écrivain est si riche de souvenirs, si rempli de lectures, qu’il ne choisit pas, il accumule ; il ne s’arrête pas à ce qui est bon, il aime le rare ; il néglige ce que les autres lisent, il fait ses délices de ce que personne n’a lu ; il ne veut pas plaire, il veut étonner ; Son savoir étouffe son talent. Ah ! si l’esprit comme le cœur de l’homme pouvait oublier quelque chose, quel admirable poète nous aurions encore dans M. Victor Hugo ! Est-il nécessaire de montrer que la philosophie de la légende des siècles est encore au-dessous de celle des Contemplations ? La doctrine de l’ombre n’a pas moins de place dans ce volume que dans les précédens, mais l’auteur y a superposé le panthéisme bizarre du Satyre, qui pour un esprit plus philosophique serait une inconséquence flagrante. D’après cette pièce étrange, l’ombre ne serait plus le mal, ce serait Dieu.

Place au rayonnement de l’âme universelle !
Un roi, c’est de la guerre ; un dieu, c’est de la nuit.

Ainsi la pensée blessée de l’auteur ne se reposerait plus dans l’idée d’une Providence à laquelle il croyait tout à l’heure, à laquelle il va croire peut-être dans la page suivante. N’est-ce point, après tout, un peu de candeur de chercher tant de logique dans une poésie tout en images ? Il vaut mieux mettre à part, à côté d’Aymerillot, de quelques pages d’Eviradnus et de dix-sept bons vers dans les Chevaliers errans, deux pièces excellentes, la Conscience et les Pauvres gens. Ces quatre ou cinq morceaux suffisent pour maintenir le volume à égale distance d’un naufrage et du succès, des Contemplations, qui déjà n’était pas hors de discussion, comme, celui des Châtimens. Si, après ces rapprochemens, il fallait d’autres preuves pour établir l’action fatale de l’exil sur la